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rencontrer sur la route, au milieu des montagnes du Tyrol. Entrez dans cette petite auberge ; c’est là qu’ils sont tous réunis, et ce tableau terminera le roman avec une grace plaintive. Un des compagnons de voyage d’Ilda Schoenholm écrivait un soir à la mère de la comtesse Ilda : « Nous partons demain avec la pauvre folle pour le lac de Côme, où votre fille habitera la même villa qu’elle habitait déjà l’été dernier. Polydore n’y restera pas long-temps ; il ira à Rome et y reprendra ses travaux. Ilda ne désire plus que le silence et la solitude. Ah ! chère comtesse, le monde est plein d’ennui, de froideur, et parfois d’évènemens terribles. Les existences les plus douces y sont détruites. Voilà la malheureuse Ondine brisée à jamais ; Ilda s’enfuit dans la retraite, et cependant la terre est si belle ! »

Ces paroles, que je lis à la dernière page, sont-elles la pensée même du roman ? est-ce le regret, est-ce une plainte mélancolique et douce qui a inspiré l’écrivain ? Je le crois volontiers, et c’est là, si je ne me trompe, le charme de ce livre. Sans doute, la critique doit y signaler bien des faiblesses ; Ilda Schoenholm n’est pas un roman ; ce n’est guère autre chose qu’une esquisse. Malgré cette rencontre des principaux personnages au premier et au dernier chapitre, malgré ces deux évènemens qui semblent enfermer le tableau dans des lignes précises, par des contours bien arrêtés, l’absence d’art et de composition est trop visible dans le récit. Les caractères ne sont pas tracés d’une main sûre. Pendant le séjour d’Ilda au château de Ruhenthal, l’apprêt des conversations brillantes nous gâte beaucoup cette belle et noble femme, si soumise tout à l’heure et si chastement passionnée. Au lieu d’une ame élevée et sereine que nous aimions, il nous faut suivre dans ses fantaisies suspectes un bel esprit prétentieux. La comtesse Ilda, au château de Ruhenthal, n’est plus celle qui était si résignée sous l’autorité impérieuse du comte, celle qui surveillait avec grace l’éducation de Polydore, celle qui remplira Otto d’un amour si profond, et qui tout à l’heure, s’oubliant elle-même, volera si vite auprès de la malheureuse Ondine. Je ne comprends pas non plus que l’auteur, après avoir raconté la faiblesse d’Otto, prétende nous montrer dans sa rupture éclatante avec Ilda un témoignage de force ; je ne puis m’expliquer cette phrase singulière : « Et qu’est devenu Otto ? Otto continue son chemin, calme et fort, au milieu des hommes ; celui qui peut se gouverner lui-même est né pour gouverner le monde. » Il s’est fait là encore une substitution dans les personnages, et nul ne reconnaîtra dans ce jeune homme si fièrement désigné pour des destinées glorieuses, l’ardent, mais timide rêveur qui a eu peur de son