du pays, c’est-à-dire les outres, et l'alforja le sac aux provisions. On se mit donc à l’œuvre ; mais, ô douleur ! on avait oublié le pain. Que faire ? Retourner à Fiñana était impossible ; nous en étions déjà trop loin, et nos heures étaient comptées. On délibérait, quand les éclaireurs signalèrent dans un repli du rocher un hameau, que dis-je ? un douair plus fait pour des Bédouins que pour des enfans de la civilisation européenne. Quoiqu’il ne fût pas sur notre route, on y monta, dans l’espoir de trouver là de quoi réparer notre oubli. On arrive… personne ! Roposo (c’est le nom du hameau) était désert, et toutes les huttes hermétiquement closes ; hommes, femmes, enfans, et jusqu’aux chiens, la population tout entière était dans la montagne, occupée sans doute à couper, à voler du bois, ou à faire pis encore. Pourtant, en cherchant bien, on aperçut une porte ouverte ; on entra. Une femme oubliée gardait la case en filant. Quoiqu’elle ne fût ni trop vieille ni trop laide, ses vêtemens étaient si déguenillés, tout en elle était si repoussant, qu’on l’eût prise pour une des furies d’Eschyle, commise par Hécate à la garde d’un village pestiféré. Son accueil fut conforme à sa mine, et si une terreur salutaire n’eût tempéré son humeur revêche, elle nous eût mis à la porte à coups de bâton ; cependant nous l’avions appelée señora ! Courtoisie perdue ! cajoleries, prières, menaces, tout fut inutile ; elle n’avait, à l’entendre, ni pain ni autre chose, pas même de l’eau. Cependant, quoiqu’elle prît à témoin la Vierge et tous les saints du paradis, l’effronté mozo ne tenait nul compte de ses protestations et furetait partout comme un rat affamé. Tout à coup il pousse une exclamation de joie. O bonheur ! il avait découvert au fond d’un bahut, caché derrière un fagot d’ajoncs, deux pains énormes. Que devint à cette vue la ménagère ? Pâle et tremblante, elle s’élança sur le mozo, les griffes en avant pour lui arracher son bien ; mais le mozo, plus leste, gagna la porte d’un seul bond en emportant sa proie, et l’armée de le suivre en triomphe. J’essaierais en vain de vous peindre la colère de la montagnarde exaspérée ; la vieille comparaison classique de la louve à qui l’on a ravi ses louveteaux ne rendrait qu’imparfaitement sa rage et son désespoir. Nous eûmes beau lui jeter en partant un duro pour ses deux pains, qui ne valaient pas une piécette, la vue même de cette belle piastre neuve qui brillait au soleil ne put l’apaiser ; nous prenant pour des voleurs, elle la regardait sans doute comme fausse, à moins pourtant, et c’est probable, qu’elle n’en connût pas la valeur. Une pareille somme, à coup sûr, n’avait jamais passé ce seuil de misère.
Cette réquisition forcée n’était pas plus légale assurément que la visite domiciliaire des cortijos de Santillane, aussi reçut-elle son châtiment. A peine nous étions-nous remis en route après notre frugal déjeuner, que nous nous égarâmes ; ce fut là notre punition. Nous voilà tournant et retournant sur nous-mêmes, prenant, quittant et reprenant vingt sentiers l’un après l’autre sans retrouver le bon ni réussir à nous orienter, et pendant trois mortelles heures nous ne découvrîmes pas une figure humaine, pas même la piste d’un troupeau. Une solitude inflexible régnait dans ces inextricables dédales, et si l’on appelait, les échos seuls nous renvoyaient nos cris. Pendant