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des céréales, comme dans tous les villages et tous les bourgs de ces contrées agricoles. Fiñana possède, ainsi qu’Abla, des antiquités romaines. Le bourg était dominé autrefois par une forteresse arabe. Cet antique château n’est plus maintenant qu’une ruine habitée par les chouettes et ouverte à tous les vents du ciel ; mais, du haut des créneaux délabrés, la vue est ravissante on a sous ses pieds les vastes plaines du Marquisat, dit de Zénet, du nom de ses anciens suzerains musulmans, les Zénettes, l’une des cinq grandes tribus arabes qui conquirent l’Afrique, puis l’Espagne. Le chef de cette tribu puissante avait succédé, dans la possession de ce riche apanage, à ce trop fameux comte Julien, dont l’humeur vindicative ruina l’empire des Goths et fit tant de mai à sa patrie. Le fort de la Calahorra occupait le centre du fief, digne repaire de ces tyrans de seconde main, qui tous, mahométans ou chrétiens, vivaient de rapine et de sang. Leur château est encore debout, mais qu’il est déchu ! On en a fait une prison et un grenier à blé. Cette masse brune n’en produit pas moins à distance un effet pittoresque, et forme aujourd’hui la plus belle décoration du pays. Au-dessus du château en ruines s’élève audacieusement le pic de l’Almirès, qui est à ce versant de la Sierra-Nevada ce que Mulahacen et la Veleta sont à l’autre. Ce versant d’ailleurs diffère entièrement du revers opposé, dont il n’a ni les larges pentes ni les gradins majestueux ; il tombe à pic, et n’offre de tous côtés que précipices, escarpemens, déchirures effroyables. La sierra de Baza, qui lui fait face au nord, et dont la Nevada n’est séparée que par la riante vallée du Marquisat, a un tout autre aspect : quoique nus, ses flancs n’ont rien d’abrupte, et ses crêtes onduleuses sont couvertes de grands bois qui servent à la construction des navires. J’ajoute, pour ne pas l’oublier, qu’on y trouve aussi des mines, et que les Mores tiraient de cette dernière montagne les beaux marbres qu’on admire encore à Grenade.

Le lendemain, nous partîmes assez tard ; notre armée de la veille s’était renforcée de deux nouveaux ouvriers fondeurs ; nous étions douze en tout, y compris le mozo. Pour gagner la sierra de Gor, où se trouve le Rebenton, il nous fallait franchir celle de Baza ; nous l’attaquâmes de front, et d’abord sans beaucoup de fatigue, car la montée est douce, sablonneuse, aisée, et repose des terribles sentiers d’Ohanez et d’Abrucena. Malheureusement, le chemin ne tarde pas à devenir raide et pierreux. On marche en glissant à chaque pas sur de grands bancs de schiste veinés de quartz et semés de grenats. Jusque-là nous n’avions pas encore trouvé d’arbres, partant pas d’ombre, et le soleil nous décochait sans ménagement ses traits caniculaires. Nonobstant la chaleur et les difficultés du sentier, dont, par parenthèse, les sandales des piétons se tiraient beaucoup mieux que le sabot ferré des chevaux, la caravane cheminait lestement et gaiement ; les jeunes chantaient des coplitas, les vieux contaient des histoires où les mines et les voleurs de la sierra jouaient naturellement le premier rôle. Bientôt on se souvint qu’on n’avait pas déjeuné. Les botas étaient pleines, les fromages et les jambons d’Andarax ne manquaient pas dans les alforjas. Inutile de dire que les botas sont les bouteilles