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s’écria que c’étaient les mauvaises lois qui avaient jeté le peuple entier dans la politique. M. Roebuck affirma que ceux qui avaient signé la pétition l’avaient signée sans la lire, et que ce document ne représentait pas leurs opinions. Sur quoi, lord John Russell mit fin au débat en disant simplement que, si l’on avait pu faire signer au peuple des pétitions contraires à ses vœux réels, on pourrait tout aussi aisément lui faire choisir des représentans indignes de sa confiance.

La démonstration du 1er mai 1842 a été le dernier acte politique des chartistes ; un parti qui étale ainsi publiquement l’anarchie de ses élémens et le néant de ses vues donne par le fait sa démission. Sans doute, on retrouve les chartistes se mêlant aux troubles qui éclatèrent peu de temps après dans les comtés de Stafford, d’York et de Lancastre ; mais en dépit de leurs incitations, la querelle conserva le caractère d’un débat entre les maîtres et les ouvriers. Depuis cette époque, leurs chefs se partagent : Feargus O’Connor et quelques autres ont jeté leur dévolu sur la difficulté du salaire, qu’ils enveniment par des pamphlets d’une dialectique passionnée[1] ; les plus modérés, tels que Lovett, Collins et Vincent, se sont ralliés à l’association que M. Sturge a fondée à Birmingham en vue de l’extension du suffrage, et qui embrasse aujourd’hui quarante-cinq villes du royaume-uni. Il ne reste plus de ce mouvement qu’une irritation anarchique qui fermente au sein des classes ouvrières, et dans les autres classes de la société une défiance profonde qui les rejette en masse vers le parti conservateur. Birmingham, la patrie par excellence du chartisme, vient d’envoyer à la chambre des communes un membre tory, M. Spooner.


LA DEMOCRATIE

Les révolutions et les grandes réformes qui changent la constitution d’un état ne se font jamais par le soulèvement ni selon la volonté d’une seule des classes qui composent le peuple. Ce qui a rendu possible en France la révolution de 1789, c’est qu’un sentiment commun animait les classes inférieures et la classe moyenne ; c’est que les mêmes instincts d’égalité et de liberté se retrouvaient dans les rangs les plus divers de la population ; c’est que le tiers-état, que la monarchie aristocratique avait exclu du pouvoir et qui demandait la reconnaissance

  1. The Employer and the Employed, by Feargus O’Connor.