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ractères, une raison supérieure, différente de l’imagination qui fournit les couleurs, et de la sensibilité qui donne la passion ?

Outre l’imagination et la raison, l’homme de goût doit posséder le sentiment et l’amour de la beauté. Il faut qu’il se complaise à la rencontrer, qu’il la cherche, qu’il l’appelle. Comprendre et démontrer qu’une chose n’est pas belle, plaisir médiocre, tâche ingrate ; mais discerner une belle chose, s’en pénétrer, la mettre en évidence, faire partager à d’autres son sentiment, jouissance exquise, tâche généreuse. L’admiration est à la fois, pour celui qui l’éprouve, un bonheur et un honneur. C’est un bonheur de sentir profondément ce qui est beau ; c’est un honneur de savoir le reconnaître. L’admiration est le signe d’une raison élevée, servie par un noble cœur. Elle est au-dessus de la petite critique, sceptique et impuissante ; mais elle est l’ame de la grande critique, de la critique féconde ; elle est, pour ainsi dire, la partie divine du goût.


II.


Après avoir étudié le beau en nous-mêmes, dans les facultés qui le perçoivent et l’apprécient, la raison, le sentiment, l’imagination, le goût, nous arrivons, selon l’ordre déterminé par la méthode, à cette seconde question : Qu’est-ce que le beau dans les objets ? L’étude du beau serait imparfaite, si nous ne couronnions ces rapides analyses par celle du beau en lui-même, de ses caractères, de ses espèces, de son principe.

L’histoire de la philosophie nous offre bien des théories sur la nature du beau : nous ne voulons ni les énumérer ni les discuter toutes ; nous signalerons les plus importantes[1].

Il en est une, bien grossière, qui définit le beau, — ce qui plaît aux sens, ce qui leur procure une impression agréable. Nous ne nous arrêterons pas à cette opinion ; nous l’avons suffisamment réfutée en faisant voir qu’il est impossible de réduire l’idée du beau à la sensation de l’agréable.

Un empirisme un peu plus raffiné met l’utile à la place de l’agréable,

  1. Si on veut faire connaissance avec une réfutation simple et piquante, écrite il y a deux mille ans, des fausses théories de la beauté, on peut lire l’Hippias de Platon, tome IV de notre traduction. Le Phèdre, tome VI, contient l’exposition voilée de la théorie propre à Platon ; mais c’est dans le Banquet, et particulièrement dans le discours de Diotime, qu’il faut chercher la pensée platonicienne arrivée à son développement le plus parfait, et revêtue elle-même de toute la beauté du langage humain.