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recommanderont pas auprès des lecteurs désintéressés ; pour obtenir le suffrage de ceux-ci, il eût fallu éviter les déclamations, juger de haut, avec calme comme avec sévérité, ne se faire l’interprète d’aucune prévention, l’avocat d’aucun parti.

Un ouvrage sérieux et complet nous manque donc encore sur la Russie. Parmi ceux qui ont visité cet empire, les uns, arrivant avec des haines préconçues ou des sympathies arrêtées, n’ont rien examiné que sous un faux jour ; ils auraient obtenu le même résultat sans sortir de leur cabinet. D’autres, plus disposés à l’impartialité, ont difficilement entrevu la vérité dans un état despotique qui met tous ses soins à déguiser sa faiblesse et ses vices aux yeux l’étranger. Celui-ci, le plus souvent, en est réduit à des conjectures : s’il interroge, il ne trouve autour de lui que réserve et contrainte ; chacun craint de se compromettre, et garde prudemment le silence sur les choses du gouvernement. Un nom connu, un rang élevé, doivent-ils donner du poids à ses récits, le voyageur sera circonvenu, trompé. On sait comment M. le duc de Raguse a vu l’Égypte et avec quelle adresse le rusé pacha a su lui donner le change et cacher à ses yeux, sous les oripeaux d’une civilisation menteuse, les plaies du pays qu’il exploite. Il en sera toujours de même lorsqu’on voudra étudier un peuple par l’intermédiaire de ceux qui le gouvernent. Celui-là seul peut connaître une nation qui, abandonnant les grands chemins frayés, sait prendre le sentier détourné et solitaire qui mène à la hutte du moujik, sous la tente du Cosaque, et va demander au foyer domestique le récit de ses souffrances et de ses besoins.

Si nous en croyons l’auteur des Révélations sur la Russie, il aurait tout vu, tout observé, tout décrit. L’empereur, la noblesse russe, les fonctionnaires, les serfs, toutes les classes de la société, sont passés en revue. La corruption et la vénalité, ces plaies invétérées de la Russie, lui fournissent des anecdotes parfois piquantes et qui ne font que confirmer ce que nous savions déjà sur ce vaste système de concussions qui, du ministre au dernier fonctionnaire, forme une chaîne non interrompue de voleurs officiels. Des aperçus pittoresques, qui n’offrent pas l’intérêt de la nouveauté, complètent l’ouvrage. En serons-nous plus éclairés qu’auparavant sur la situation sociale que l’auteur a eu la prétention de nous révéler ? Assurément non. Nous l’avons déjà dit, l’esprit d’hostilité systématique qui a dicté ce livre et qui a fait sa réputation en Angleterre ôte à nos yeux toute valeur aux jugemens qu’on y trouve. Aussi n’est-ce pas à ce point de vue qu’il peut présenter de l’intérêt en France. Ce sont les tendances dévoilées par cette œuvre exclusivement britannique qu’il est bon d’observer, car nous y trouvons l’expression des sentimens qui animent une portion notable de la société anglaise vis-à-vis de la Russie. Tel est, à notre avis, le seul côté qui mérite l’attention des lecteurs. Nous n’avons pas la prétention de laver le gouvernement russe et son chef des reproches qui lui sont adressés ; nos opinions, pour le moins aussi libérales que celles du peuple anglais, ne nous feront jamais transiger avec un système qui est leur ennemi essentiel et implacable ; nous savons tout ce que