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mais que l’on s’en souvienne, il n’est question que de la coupe des vers, et nous voulons seulement prouver l’identité absolue de la prose cadencée et à rimes croisées de la religieuse avec ce que nous appelons vers libres. Voici le calque exact, mesure par mesure, de cette prétendue prose :

L’HOTELIER.

Réjouis-toi, Marie !
Ta charmante vie
Bientôt va s’entourer, non plus de jeunes gens,
Mais de vieillards prodigues et galans,
Dont la tendresse
A tes pieds mettra sa richesse.

MARIE.

Mon ame est toute à l’amour,
Bien suprême !
Que celui qui m’aime
Espère un doux retour.

ABRAHAM.

Un étranger, Marie,
Te prie.
Ah ! veuille m’accorder
Un baiser !

MARIE.

Mes bras, de leur douce caresse,
Enlaceront ta tremblante vieillesse ;
Je baiserai tes cheveux blancs.


Peut-on nommer cela de la prose ? Évidemment la religieuse a écrit en vers sans le savoir. Tous ses drames sont faits de cette manière. Lorsque l’ermite se révèle à Marie, et lui reproche ses déportemens, le mètre, que nous venons de voir inégal et ondoyant comme la volupté, devient grave, régulier et alterné comme les sentencieuses leçons du dogme. Ainsi la religieuse, imitatrice à la fois et créatrice, tel est le propre des esprits supérieurs, a reçu les impressions de son temps, et les a transmises en les épurant ; si elle tient à l’antiquité par ses études, au moyen-âge par la forme du style et le fends des idées, elle touche par des points essentiels au développement de la poésie chez les peuples nouveaux. Cette place assurée à Hrosvita dans les littératures modernes ajoute un nouvel intérêt au