sait pas se jouer dans ses vers avec les consonnes, ni dire : Rem, ram, ruf.. »
… I am a sotherne man
I cannot geste rem, ram, ruf…
Mais comme c’est un homme d’esprit et d’une oreille délicate, il ajoute : « Après tout, la rime ne vaut guère mieux :
And, god wote, rime hold i but litel better ! »
Et il a parfaitement raison : la rime est la sueur cadette de l’assonance barbare, qui elle-même est une cousine méridionale de l’allitération du Nord.
Je ne pense donc point que la rime se rattache à la civilisation et à la poésie païennes ; c’est un élément nouveau et barbare, bien que méridional et surtout chrétien. Les derniers prosateurs et poètes romains ne connaissent point la rime, il n’y en a pas dans saint Jérôme ; Sidoine Apollinaire, qui se plaît aux recherches les plus dépravées et les plus bizarres, écrit de mauvais vers qui ne riment pas. On peut en dire autant d’Ausone, qui s’amuse à bâtir des pièces en croix et en centons, mais dont les coquetteries de décadence sont étrangères à la dureté rocailleuse de l’allitération et à l’écho de la rime. Ces dernières formes n’apparaissent qu’avec les invasions des peuples du Midi et du Nord, surtout avec l’invasion plus puissante du christianisme, la sentence, le dogme et la doctrine, s’impriment bien mieux dans les esprits par le retour parallèle des désinences. La prédication chrétienne, c’est-à-dire toute la civilisation du Midi, s’empara de ce moyen ; les lettrés ne se servirent plus que de l’assonance ou de la rime ; elle retentit dans les séquences et les proses d’église, puis elle fit son nid dans la poésie et même dans la prose teutonique. Le grand Gerbert est à peu près le seul homme de son temps qui ait méprisé cette forme nouvelle. De la poésie ou prose gallo-romaine et latino-tudesque (à rimes intérieures) dont Hrosvita offre un échantillon précieux, la rime est descendue directement chez nous. Les langues vraiment musicales s’en passent, les idiomes plus durs s’en arrangent : je ne connais rien de moins mélodieux que les rimes suivantes, que cite M. Duméril, rimes dont la richesse est incontestable et qui appartiennent à un poème islandais du IXe siècle :
Haki - Kraki, — Hoddum - Broddum, — Saerdi - Naerdi - Seggi - Leggi, etc[1].
- ↑ Stephanius, Notoe ad Saxonem, p. 76.