de son talent, l’élévation passionnée de son ame, il faut opposer à ses œuvres les essais contemporains. Ouvrez Gautier d’Aquitaine[1], application du rhythme de Virgile au germanisme pur et à la barbarie des forêts. Là, les plaisanteries sont d’un goût plus fruste encore que les facéties de Meinwerc et de son parent l’empereur. Deux héros, pour s’amuser, s’arrachent, qui un œil, qui une main, et trouvent la plaisanterie fort bonne. Nous ne citerons que le début de cette petite conversation d’un guerrier frank et de son ami le Provençal ou l’Aquitain pour mettre mieux en relief toute la valeur de la dramaturge contemporaine.
« Après beaucoup de bruit et de grands coups de poing, les héros commencèrent à se jouer dans une dispute plaisante, dit le poète. » - « Ah ! dit le Frank à l’Aquitain, tu auras besoin dorénavant de chasser le cerf, mon bon ami ; car il te faudra un[2] gant (il lui coupe la main), et je conseille d’y mettre du coton pour que l’on ne s’en doute pas. Wah ! (cri germanique), qu’en dis-tu ? te voilà forcé d’attacher ton épée sur la cuisse droite, et tu ne seras plus à la mode. Si l’idée te vient d’embrasser ta femme, il faudra donc (quel dommage !) passer la main gauche autour de sa taille au lieu de la droite. Après tout, tu feras ces choses-là de la main gauche ! »
« Gautier lui répondit : — « Sicambre, je ne sais pas pourquoi tu fais tant de bruit. Si je chasse les cerfs, toi, tu ne chasseras plus le sanglier. Dorénavant (il lui crève un œil) tu ne donneras plus d’ordre à tes domestiques que d’un œil ; les héros qui viendront te voir, tu les salueras en les regardant de travers. Je te conseille de te faire préparer, pour ton retour, un cataplasme de farine et de lard : cela te servira d’emplâtre et de potage. » Ces plaisanteries gracieuses qui soulèvent le cœur dans la traduction sont, non pas corrigées, mais rendues plus atroces dans l’original par l’élégance affectée des expressions
- ↑ Poème latin du Xe siècle, sans doute traduit des vieilles chansons allemandes. -Fischer, Leipzig, 1780.
- ↑ Wantis, gants. — « Il te faudra des gants de cuir, dont tu jouiras sans fin pour la vie. » - Les Allemands disent aujourd’hui hand-schuh, soulier de la main, pour gant. Nous signalons aux étymologistes français cette vieille acception perdue du mot germanique wand, gant (abri, paroi, muraille, couverture), de winden (tourner, entourer), analogue à wanden (tourner, virer), d’où anwenden (appliquer, adapter), et verwinden (enlacer, entrelacer) ; la racine commune est le gothique vandia. Les Anglais ont encore winding, bien qu’ils aient emprunté à une autre racine (gleiten, to glide, glisser, fourrer) leur mot glove pour gant. Les étymologies françaises n’ont jamais été suffisamment éclairées, faute d’une connaissance comparative et d’une étude parallèle des idiomes teutoniques et latins.