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à célébrer le service funèbre du père et de la mère de l’empereur, lut couramment ces mots à haute voix, mulis et mulabus, puis, s’apercevant du tour qu’on lui jouait, il se reprit et prononça correctement famulis et famulabus.-« Ah ! dit l’empereur à l’évêque, qu’il fit venir après la messe, je te demande de prier pour mon père et ma mère, et tu pries pour mes mulets et mes mules ! Voilà un bel évêque ! — Par la mère de notre Seigneur ! répliqua l’évêque, te voilà encore avec tes vieux tours ; tu te moques donc de Dieu comme de moi ? Cela ne restera pas impuni ! » Le chapitre fut assemblé, le chapelain condamné aux verges, fouetté vigoureusement à la place de l’empereur et renvoyé chez son maître et son complice dans un piteux état.

L’ignorance des couvens allemands du Xe siècle ne ressort pas de cette anecdote, mais au contraire l’alliance étrange d’une grossièreté rustique et d’un savoir ébauché. Brucker, dans son Histoire de la Philosophie[1], altère les faits d’une manière impardonnable, lorsque, voulant présenter le Xe siècle en Allemagne comme dépourvu de toute connaissance des lettres, il allègue en preuve de son assertion l’anecdote de Meinwerc, et montre cet évêque « accoutumé à prononcer, en récitant les psaumes, les mots mulis et mulabus pour famulis et famulabus, tant il savait peu de latin. » La plupart des anecdotiers littéraires ont reproduit fidèlement ce mensonge. Meinwerc n’était pas ignorant ; c’était le barbare germanique se faisant Romain et ecclésiastique malgré ses antécédens, et n’y réussissant pas trop mal, puisque le chapelain de l’empereur ne le dupa qu’à demi, et qu’il sut se reprendre assez à temps pour prononcer les mots sacramentels et restituer le vrai texte. Cette mauvaise plaisanterie prouve que, chez les empereurs, l’on s’occupait beaucoup de latin, et que l’on attachait une haute importance à la connaissance de cette langue.

Il faut lire ensuite avec quel orgueil le même biographe teuton décrit les triomphes scholastiques du monastère de Paderborn sous le successeur immédiat de Meinwerc, Imadius. — « Là (dit-il dans ce latin germanique rimé, auquel Hrosvita sut prêter un caractère plus doux, plus grave et sur lequel nous reviendrons) habitèrent musiciens et dialecticiens ; là brillèrent des rhétoriciens et d’illustres grammairiens ; là les maîtres des arts qui exerçaient le trivium s’étaient dévoués au quatrivium ; là s’élevèrent astronomes et physiciens, géomètres et mathématiciens ; là fleurit Horatius et le grand Virgilius, et Crispus Salustius, avec Urbanus Statius ; enfin, ce fut plaisir pour tous – de

  1. Histoire de la Philosophie, Xe siècle, t. III, p. 632.