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prendront les rôles d’hommes ? quelle est celle surtout qui se chargera de répéter les brûlantes paroles (inlicita suaviola) que prononcent les amans ? N’est-ce pas une mission dangereuse. L’auteur elle-même prendra ce soin, Hrosvita, dont il est triste que nul portrait ne nous soit parvenu, et qui, belle où laide, ne pouvait manquer d’être d’une figure spirituelle et expressive. Venait ensuite l’arrangement solennel du chœur tendu de ces tapisseries « qui étaient, dit M. Magnin, d’un usage général, » et qui faisaient flotter autour des pilastres leurs empereurs romains, leurs scènes pieuses et leurs martyres, précisément les décorations dont on avait le plus grand besoin. La belle église de style primitif, aux rares ornemens, aux fenêtres hautes, devait être fière et parée le jour (sans doute celui même indiqué par la légende) où les portes s’ouvraient à deux battans, ou les cloches sonnaient à pleines volées, où l’évêque diocésain d’Hildesheim venait officier au grand autel, et, la messe dite, s’asseyait sur sa chaire dorée (sella aurea), en face de l’autel même, pour assister, chose étrange, au premier baptême de l’art dramatique moderne !

Ce mélange de romantisme bâtard, que M. de Marchangy et ses suivans ont jeté dans leur érudition apocryphe, n’a rien qui me plaise ; on détruit ainsi l’intérêt grave de l’histoire par la frivolité des inventions, et la grace libre du roman se meurt dans le pédantisme. Cette alliance de la fausse imagination et de l’érudition fausse est une des plaies vives de la littérature récente ; mais la sobriété même de l’érudition la plus austère ne peut se défendre d’un enthousiasme secret lorsqu’elle soulève un coin du voile que le temps a fait tomber sur les siècles obscurs. Qui ne serait tenté de reconstruire par la pensée le théâtre sacré des triomphes de Hrosvita ? l’église, non pas gothique fleurie du XIIe ou du XIIIe siècle, mais saxonne et d’un caractère beaucoup plus grave : la longue rangée des moines d’Hildesheim debout dans la nef, avec leurs robes noires, leurs têtes rasées et leurs cuculles ; les grandes dames aux diadèmes emperlés, aux lourdes robes, aux manteaux ornés de grecques massives brodées en or ; les princes de la cour impériale assis dans le chœur même, peut-être aussi quelque envoyé de Byzance, à la figure fine, à la longue barbe blanche, aux ornemens efféminés, mêlé à la sévère assemblée ; enfin, sous le porche, qui laisse voir le ciel, la foule pressée des manans, des bourgeois, des artisans, et quelques serfs ou gens mainmortables de la puissante abbaye.

Les qualités spéciales qui distinguent M. Magnin, éditeur et traducteur de ce théâtre de Hrosvita, l’un des plus aimables et des plus