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d’intimité, demanda la liberté complète de Marguerite, sa radiation définitive des registres des condamnés, et obtint l’un et l’autre. Le free pardon de la pauvre fille, acte qui lui rendait tous les droits civils, fut donc la première nouvelle et la première parole que Jean Barry eut à porter à Marguerite dans l’entrevue que lui avait ménagée mistriss Palmer.

A l’époque où, dans la ferme d’Alneshbourne, Marguerite veillait les nuits du blessé, il lui avait juré de ne pas avoir d’autre femme qu’elle, et il avait tenu parole. Maintenant la déportée recevait de Jean Barry plus que la vie, et restait ainsi maîtresse de refuser ou d’accepter l’offre qui lui était faite de partager son sort et de porter le nom de Barry. Elle accepta, et devint mistriss Barry de Windsor près les Collines vertes d’Hawskesbury, une des plus riches propriétés de ce nouveau monde, passa quinze années dans cette situation, eut de son mari deux filles et un fils, et reçut les derniers soupirs de Jean Barry, qui mourut, le 9 septembre 1827, entre ses bras. Elle-même expira le 10 septembre 1841, à soixante-huit ans, léguant au révérend Richard Cobbold, dont Laud avait sauvé la vie, le soin de recueillir quelques faits sur son aventureuse jeunesse.

Le révérend s’en est acquitté assez mal, il faut le dire ; il a inventé des dialogues, poussé des soupirs et prodigué de très inutiles détails, laissant de côté la portion réelle et poétique de cette pastorale singulière ; la plupart des hommes laissent passer sans les voir les élémens de poésie qui abondent dans la vie réelle. Le révérend n’a compris ni la sensibilité silencieuse et profonde de la jeune fille, ni l’ardente témérité du jeune homme, ni cette sympathie invincible qui les enchaînait par un de ces liens redoutables dont il faut bien avouer la puissance. Les évènemens qui suivirent ne furent que la conséquence nécessaire de mœurs et de caractères sur lesquels nous avons dû arrêter l’attention du lecteur, pour constater non pas la vérité, mais la possibilité et la vraisemblance des faits. Il est étrange sans doute qu’un membre de l’église anglicane ait pris tout exprès la plume pour les raconter ; ceux-là s’en étonneront moins qui savent combien le protestantisme est essentiellement une foi individuelle, une croyance du foyer domestique, et combien il lui est facile d’abuser de sa mission.

Nous avons fait grace à ceux qui nous ont lu de bien des passages dignes des plus vulgaires et des plus microscopiques parmi les peintres flamands ; il y a des pages où le révérend parle des cuillers avec un respect poétique, des fourchettes avec une vénération mystique, et descend avec un imperturbable sérieux jusqu’au panégyrique des