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qui ne puisse plus passer que des meules de foin et des gerbes de blé. A droite, une pente douce et insensible, couverte du tapis le plus fin et le plus vert que puisse fournir le gazon anglais, descend de la colline qui domine la mer, et aboutit à l’ancien fossé ; à gauche, un petit bois de chênes nains remonte doucement la pente opposée, et boise la colline parallèle ; d’énormes chênes, contemporains des moines, favorisés par l’humidité de ce terrain creux, s’élèvent comme de gigantesques colonnades, étendent leurs bras noirs et noueux par-dessus les eaux murmurantes, et, se courbant en voûte au-dessus de la ferme qu’ils semblent protéger, vont rejeter l’extrémité de leurs rameaux noirs de l’autre côté de l’édifice en ruine. Dans les interstices de leurs feuillages, et entre les deux collines, vous apercevez une clairière étroite et lointaine, et tout au fond de cette perspective sans bornes une étincelle bleue qui est la mer. C’était dans la ferme d’Alneshbourne que la jeune villageoise était en service.

La résolution de William avait été blâmée vivement par elle ; elle s’était même refusée à recevoir les présens de rubans et de dentelles que le contrebandier de temps à autre avait essayé de lui faire parvenir. Le cours des choses ne tarda pas à justifier les prévisions de la jeune fille et ses conseils, car le métier choisi par William n’était pas sans dangers. Un jour, le passeur de Harwich, son père, que le gouvernement venait de priver de sa petite place pour le punir des déportemens de son fils, le rapporta sur ses épaules, le crâne horriblement fracturé dans une rencontre. Édouard Barry, chef des garde-côtes sur la plage de Bawdsey, s’était battu corps à corps avec le jeune contrebandier. Marguerite le veilla pendant un mois entier, guérit sa blessure, et lui fit promettre qu’il ne jouerait plus désormais un jeu si terrible et si dangereux ; mais William avait donné une promesse difficile ou impossible à tenir. Une fois que l’on a goûté de la vie bohème sur la terre ou sur les eaux, on est attiré sans cesse vers la volupté âpre de cette indépendance sauvage. Aussi William, après avoir quitté la cabane de Nacton et les soins de Marguerite, n’eut-il rien de plus pressé que de remonter sur son brick, de prendre le nom inconnu de capitaine Hudson, et de continuer le cours de ses exploits. Il trouvait à cette ruse l’avantage de passer pour mort et de tromper la recherche d’Édouard Barry, le garde-côte, celui-là même qui lui avait porté cette terrible blessure.

Les Barry, et cela peut charmer les esprits systématiques qui tiennent à la théorie des races, ne ressemblaient en rien à William Laud ; on sait que le nom de Barry n’est autre que celui des Barré normands,