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les autres manufacturiers de la ville, prirent le parti de céder ; mais les ouvriers n’y gagnèrent rien, car on n’admit que le nombre qui était suffisant pour alimenter l’ancienne manufacture : la nouvelle resta vacante, et les métiers sans emploi. Les fabricans se vengèrent en réduisant la quantité du travail de l’augmentation que le prix avait subie.

Encouragée par ce demi-succès, l’union dressa un tarif obligatoire des façons pour la filature et pour le tissage, fit publier ce tarif dans les journaux, et en adressa aux manufacturiers des exemplaires imprimés. Les ouvriers se proposaient ainsi, non-seulement d’élever, mais encore d’égaliser le taux des salaires, de procurer au travailleur inhabile ou médiocre les mêmes avantages qu’au travailleur intelligent et expérimenté. C’était renverser l’ordre naturel des choses, et faire régner le plus brutal despotisme ; c’était étouffer l’émulation et refuser à l’industrie les instrumens du progrès. Les maîtres éludèrent d’abord les prescriptions du tarif, en donnant une partie de leurs laines à filer et de leurs étoffes à tisser aux ouvriers répandus dans les campagnes. Alors commença entre les maîtres et les ouvriers une guerre de ruses et de stratagèmes ; la loyauté disparut de ces rapports, dès que la liberté en fut bannie. L’union ayant ordonné aux maîtres de filer et de tisser exclusivement à Leeds, ceux-ci réduisirent leur fabrication au tiers de ce qu’elle était auparavant. Un peu plus tard, les ouvriers prétendirent substituer au tarif des façons un tarif de journées. Tout ouvrier, habile ou inhabile, actif ou paresseux, devait recevoir 21 sh. (26 francs 75 cent.) par semaine. Un fabricant, ayant constaté que les ouvriers travaillaient beaucoup moins sous l’empire de ce système, réclama auprès du comité, qui, le fait n’est que trop certain, lui défendit de tenir des livres.

La constitution intérieure des associations qui dominèrent pendant quelques années l’industrie lainière dans le comté d’York et qui la mirent à deux doigts de sa ruine mérite d’être connue. Chaque union se divisait en plusieurs districts, et chaque district renfermait plusieurs loges ou clubs. Tout district devait élire un comité directeur, et ce comité envoyait autant de délégués qu’il y avait de loges locales à la grande loge, qui s’assemblait deux fois par an. Là, sept délégués étaient choisis pour former le conseil suprême de l’union. Le conseil suprême ordonnait seul les suspensions de travail qui avaient pour objet l’augmentation des salaires ; quand il ne s’agissait que d’en prévenir la diminution, le comité de district était compétent. La grande loge ne s’assemblait jamais deux années de suite dans la même ville.