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de violences ; vingt jeunes filles descendirent au rang des prostituées ; deux personnes furent condamnées à la déportation, et trois moururent de faim. La perte essuyée par les ouvriers, à ne parler que du salaire, s’éleva à un million et demi de francs ; les maîtres perdirent plus d’un million ; les petits boutiquiers furent ruinés. Voilà donc les résultats de l’émeute industrielle traduits en chiffres. Il reste démontré que le principal dommage est pour les ouvriers, que ceux-ci relativement et absolument en souffrent plus que les maîtres, et qu’il n’y a pas pour eux la moindre chance d’améliorer leur condition en troublant l’ordre régulier de la société. Toutes les coalitions d’ouvriers, en Angleterre, ont abouti aux mêmes conséquences que celles de Preston. Partout elles ont eu pour effet l’invention ou l’application de quelque machine qui réduisait d’autant le travail de l’homme, et l’introduction de nouveaux ouvriers dont la concurrence tendait à faire baisser le prix de ce travail. On a calculé à 60 shill. par tête (près de 80 fr.) la somme que les Anglais paient annuellement au fisc ; dans un pays où l’ouvrier des manufactures gagne de 4 à 6 shill. par jour, une suspension de travail, qui dure seulement quinze jours, équivaut donc à un doublement de l’impôt ; en quinze jours, la richesse nationale peut diminuer d’une valeur égale à celle d’un budget qui représente 12 à 1,300 millions de francs. Quel puissant motif de faire régner la concorde entre les maîtres et les ouvriers !

Les coalitions n’ont pas toujours tort, et, à dire vrai, le droit est rarement du côté du maître ; mais il y a péril pour la société, quand les individus, lésés ou non lésés, entreprennent de se faire justice par leurs propres mains. Aussi les tentatives des ouvriers ont-elles été uniformément signalées par les excès les plus coupables, et lorsque la violence, un moment couronnée de succès, leur a donné le pouvoir, cette autorité accidentelle et capricieuse ne s’est exercée qu’au gré de l’ignorance et qu’au profit de l’anarchie. On peut citer en exemple les actes de folie auxquels se porta, de 1831 à 1835, l’union des ouvriers en laine dans le comté d’York. La plus belle manufacture de draps à Leeds, celle de MM. Gott, fut celle que l’union choisit pour faire le premier essai de ses forces. Les propriétaires venaient d’élever un magnifique bâtiment de cent trente mètres de façade, qu’ils avaient garni des métiers les plus perfectionnés et qu’ils destinaient au tissage des draps fins. Tout était prêt, on allait se mettre à l’œuvre, lorsque les tisserands, au nombre de deux cent dix, refusèrent de travailler, exigeant une augmentation de salaire. Après une résistance de quelques semaines, MM. Gott, qui ne se voyaient pas soutenus par