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de cette manière originale qu’ont les enfans de l’Atlas d’engager le combat. On ne saurait s’imaginer la distance à laquelle ils commencent le feu. Leurs premiers coups sont tirés non-seulement hors de portée et de vue, mais de si loin, que le son en parvient à peine aux oreilles. Ce doit être un moyen de ralliement qu’ils emploient, car ils ne sauraient avoir à coup sûr la pensée que leurs balles puissent atteindre à une pareille distance.

Quelques détonations un peu mieux caractérisées qui se firent entendre m’amenèrent bientôt à croire que le commandant pouvait être dans le vrai, que les Arabes, dont malgré tous mes efforts je n’avais pu encore distinguer un seul, se rapprochaient de nous, et qu’une demi-heure ne se passerait pas sans doute avant que nous en vinssions aux mains avec eux. Je n’avais pas eu le temps de faire cette réflexion, que je vis au-dessus de la route, à cinquante pas en arrière, sortir comme par enchantement du milieu des arbres et des rochers un cavalier ennemi monté sur un cheval noir magnifique. Il l’arrête, rejette son burnous à gauche, nous ajuste de son long fusil, et tire. Je croyais les Arabes à une lieue de nous, et ils étaient déjà sur nos épaules ; je ne pouvais revenir de ma surprise. Nous avions eu raison de ne pas pousser notre reconnaissance plus loin. Nous détachâmes alors quelques tirailleurs sur les côtés de la route pour contenir les cavaliers ennemis et couvrir notre retraite ; mais nous n’en fûmes que médiocrement importunés, ils se bornèrent en quelque sorte à nous observer, à échanger avec nous une fusillade insignifiante, et nous rentrâmes au camp sans jamais avoir été serrés de près sérieusement. Les détonations de notre petit engagement avaient attiré l’attention du gouverneur, un de ses aides-de-camp accourut de sa part au-devant de nous pour avoir des nouvelles. Les Arabes, qui nous avaient suivis jusqu’à Medjez-el-Hammar, tiraillèrent tout le reste de la journée sur nos avant-postes.

Notre reconnaissance eut pour résultat de constater d’abord le bon état de conservation de la route, ensuite de nous faire acquérir la certitude, par la facilité avec laquelle les cavaliers arabes s’étaient réunis à notre approche, que le camp de l’agha ne devait pas être établi très loin, et qu’il se trouvait sans doute de l’autre côté du Raz-el-Akba.

Le lendemain samedi 30, le prince alla visiter le camp de Guelma, où commandait le colonel Duvivier. Le grand parc d’artillerie arriva dans la journée. Cet immense matériel, qui attirait tant de monde à sa suite, donna à notre camp l’aspect le plus animé. Ce fut dans la