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qui, semblables à des bêtes fauves, rôdaient nuit et jour autour de nos établissemens. Le camp était situé à portée de la Seybouse, qui embrassait une partie de son périmètre, et fournissait de l’eau en quantité suffisante pour nos besoins. Cette eau n’est cependant pas très potable, car elle contient une notable quantité de sels neutres en dissolution ; mais les fontaines qui abondent dans les environs en donnent une fraîche et excellente.

Toutes les troupes étaient rangées hors du camp, et le prince les passa en revue. L’attitude du soldat me sembla parfaite. Le canon tirait, et sur les hauteurs à droite une tribu ennemie incendiait des douairs dont l’épaisse fumée se détachait en colonnes blanchâtres sur la sombre verdure des chênes et des lauriers. Je fus frappé de la tenue et de l’air martial des zouaves, que je voyais pour la première fois. Leur uniforme est à la fois le plus leste et le plus élégant qu’on puisse imaginer pour l’infanterie. Les hommes ont le cou nu ; les compagnies d’élite sont coiffées d’un turban vert roulé autour de leur tarbouche ou fezy ; les compagnies du centre ne portent pas de turban. Au lieu de capotes, les zouaves sont munis de courts cabans en drap gris comme ceux des matelots, avec un capuchon ; une veste boutonnée, un dolman bleu sans collet ouvert sur la poitrine et un large pantalon à la turque, complètent leur costume. Leur cartouchière est serrée autour des reins, et des guêtres en cuir lacées leur couvrent le bas des jambes. Leur coiffure, la coupe de leurs habillemens, et surtout la longue barbe qu’ils portent tous, leur donnent une physionomie tout-à-fait musulmane. Ce sont bien les plus infatigables marcheurs et les plus intrépides soldats qu’on ait vus. Le colonel de Lamoricière, qui avait formé ce corps d’élite, était fier de le commander, et c’est le plus bel éloge qu’on pût en faire.

Après le défilé de la troupe, nous entraînes dans le camp, vaste établissement militaire dont les conditions extérieures et la partie pittoresque empruntaient au pays où nous nous trouvions une couleur locale qui en doublait le mérite à mes yeux. Nous y couchâmes, pendant notre séjour, sous des tentes que le génie nous avait fait dresser. On avait construit pour le prince une série de salons et de cabinets très vastes en osier, recouvert d’un revêtement épais de branchages et de verdure. Une agréable fraîcheur régnait dans ces appartemens improvisés. Tous les soldats avaient devant leurs tentes de jolis abris en feuillage ; cela était disposé avec soin et même avec une certaine élégance.

Je fis, le soir de notre arrivée, en dînant chez le gouverneur-général,