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connaîtra bientôt la décision du congrès texien sur l’annexion. Tous les journaux des États-Unis sont unanimes pour déclarer que le parti de l’annexion aura la majorité. Cependant les agens de la France et de l’Angleterre ont offert leurs bons offices pour amener un arrangement entre le Mexique et le Texas, sous la condition que cette république garderait son indépendance. Il est donc avéré aujourd’hui que la France, sur cette question, s’est mise à la suite de l’Angleterre. Qu’arrivera-t-il si l’annexion, comme tout l’indique, est prononcée ? La France aura blessé son ancienne alliée maritime, et d’un autre côté, elle ne pourra guère compter sur la reconnaissance de l’Angleterre, que le mécontentement rendra peut-être injuste, et qui élèvera des doutes sur la sincérité d’une coopération si contraire à nos intérêts. Nous croyons que M. Guizot, dans cette grave affaire, n’a pas consulté les vrais intérêts de la France. Le langage indécis de la presse ministérielle sur cette question indiquerait-il que M. le ministre des affaires étrangères éprouve aujourd’hui des regrets tardifs, et qu’il commence à reconnaître qu’il a fait fausse route ?

La Suisse semble destinée à devenir, d’un moment à l’autre, le théâtre de complications graves, capables d’embarrasser long-temps la diplomatie et d’agiter l’Europe. L’assassinat de M. Leu, frappé dans son lit, près de sa femme et de ses enfans, est un crime qui remplit d’indignation les honnêtes gens de tous les partis. Les radicaux prétendent que la mort de M. Leu est le résultat d’un suicide ou d’une vengeance privée ; malheureusement, tout indique que le chef du parti catholique de Lucerne a été la victime d’un attentat politique, d’une odieuse vengeance, provoquée par l’esprit de parti. Tous les gouvernemens seront unanimes pour flétrir cet abominable crime, inspiré par les passions radicales et par le fanatisme révolutionnaire de la Suisse ; mais aussi, d’un autre côté, qui pourrait approuver le langage que tiennent en ce moment les organes du parti catholique ? Qui n’est pas saisi d’horreur en entendant les cris de vengeance poussés par le fanatisme religieux ? Qu’est-ce donc aujourd’hui que le gouvernement de la Suisse ? Quelle est cette société barbare où les partis emploient pour se combattre l’assassinat et la proscription ? Où sont donc les hommes modérés, les partisans de l’ordre et des lois, qui seuls, par leur intervention courageuse et éclairée, pourraient mettre fin à cette terrible lutte, et empêcher des représailles sanglantes ? Cette situation de la Suisse provoquera en France une triste réflexion. Pendant les premières années de la révolution de juillet, la France exerçait en Suisse une influence sérieuse ; elle avait un parti. Aujourd’hui, son influence est à peu près nulle. Notre diplomatie en Suisse est isolée ; le nom de la France ne réveille dans la plupart des cantons aucun intérêt, n’excite aucune sympathie, aucune affection particulière. Combien ne doit-on pas regretter cet isolement qui nous condamne à l’impuissance devant les graves désordres dont la Suisse est le théâtre, qui rend nos conseils inutiles, et qui livre à l’intervention étrangère un pays que la France, dans l’intérêt