histoire, bien simple même pour une églogue, et qui l’est trop pour défrayer d’intérêt un poème en vingt-quatre chants. Sans doute il faut savoir un gré infini au poète d’avoir, ici comme dans Marie, su éviter l’écueil du romanesque banal : M. Brizeux est demeuré simple et vrai, c’est un éloge qui lui est dû ; mais s’abstenir n’est, dans les arts, qu’un mérite négatif et secondaire ; la poésie ne vit que de difficultés vaincues, de créations hardies et heureuses. Une ombre de fable, une action sous-entendue plutôt qu’exprimée, a pu suffire une fois à animer une idylle : ce n’est pas assez pour un poème. Après avoir fait preuve de goût, M. Brizeux a-t-il fait preuve d’assez d’invention ? La double fable, dont il entrelace d’ailleurs les fils avec adresse, ne me semble avoir d’autre mérite que de fournir un prétexte à des peintures de lieux et de mœurs. Aussi cet ouvrage, malgré quelques parties où, éclatent des qualités vraiment épiques, n’est-il, à mon avis, dans son ensemble, qu’une variété plus compréhensive et plus ingénieuse du poème descriptif. À ce point de vue, j’ai peu d’objections à faire à cette manière de rajeunir l’ancien moule descriptif. S’il en était autrement, si l’auteur avait eu une prétention plus haute, s’il avait voulu nous attacher fortement par sa fable, alors nous lui dirions qu’il a commis une faute grave en partageant notre intérêt entre deux histoires ; mais M. Brizeux n’a pas visé à l’intérêt narratif, ni même à l’effet épique, tel qu’on l’a entendu jusqu’ici. Il a pris, au contraire, deux couples d’amoureux, précisément pour que nous ne nous intéressions pas trop vivement à un seul, ce qui nous ferait oublier sa Bretagne et son but, qui est beaucoup plus général ; en un mot, la petite fable de Loïc et de Lilès est le cadre du tableau, et non pas le tableau lui-même. Cependant deux circonstances sont de nature à jeter un peu de doute sur les intentions du poète, et porteront peut-être quelques lecteurs à se montrer moins indulgens que nous. Ces deux circonstances aggravantes sont d’avoir pris un titre trop fastueux et d’avoir divisé son poème en vingt-quatre chants, double imprudence, qui reporte, malgré qu’on en ait, la pensée sur les chefs-d’œuvre de l’épopée antique, dans lesquels la fable domine toujours si admirablement les peintures accessoires de lieux et de mœurs. Il eût été plus modeste, et en même temps plus habile, de réduire ces vingt-quatre chants si courts à un tout autre nombre moins compromettant, et surtout de se bien garder d’un titre à la fois ambitieux et inexact. En effet, ces mots éclatans : les Bretons, sont loin de donner l’idée d’une œuvre presque entièrement bucolique. Vous avez voulu peindre et vous avez peint avec talent la Bretagne agricole
Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/569
Cette page a été validée par deux contributeurs.