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daignent rarement les étudier. Quant à la foule, elle reste indifférente, à moins qu’une entreprise ne lui soit présentée, comme celle de l’Algérie, avec le ruineux prestige de la gloire militaire.

Aussi, qu’est-ce que notre politique coloniale ? Une succession de demi-mesures, de palliatifs insuffisans, de projets sans suite, d’acquisitions mesquines annoncées avec emphase. Nos établissemens sont laissés dans un état de malaise et d’anxiété qui n’est ni la protection efficace ni l’abandon sincère. Au reste, si nous ne nous abusons pas, cet état de choses touche à son terme, et les deux lois qu’on vient de voter auront du moins pour mérite de dessiner plus nettement la situation. Une crise dont les symptômes sont déjà apparens forcera les pouvoirs de la métropole à prendre des mesures décisives. Il faudra qu’on sache enfin si la France se résigne au sacrifice de ses possessions intertropicales en les abandonnant à la fatalité, ou bien si elle entend les conserver en avisant franchement aux moyens de salut.

Le point de départ de la réforme inévitable doit être l’abolition de l’esclavage. Une commission dont nous avons analysé les travaux[1] proposa d’indemniser les colons au moyen d’un fonds de 150 millions, dont les intérêts à 4 pour 100, amassés pendant dix ans et réunis au capital primitif, auraient produit une répartition de 210 millions. En théorie, la combinaison était ingénieuse autant que loyale ; restait la difficulté de faire accepter aux chambres une lettre de change de 210 millions, à dix ans de date. Le ministère n’osa pas en faire la demande. Après deux ans d’indécision, on imagina de présenter deux lois, l’une favorable aux esclaves, l’autre aux propriétaires ; la première offrant aux noirs l’espérance de la liberté en leur attribuant les moyens d’acquérir et le droit de se racheter ; la seconde, ayant pour but de rassurer les maîtres, en avisant aux moyens d’acclimater des ouvriers européens, et de réparer ainsi la défection des nègres.

Au contraire, les deux projets, qui devaient servir de correctif l’un à l’autre, ont été amendés par les chambres de manière à s’aggraver mutuellement. Il serait permis de croire qu’on a cherché le secret d’affranchir les noirs sans indemniser les blancs. S’il arrivait en effet qu’à la suite des lois récemment votées, les ouvriers robustes et intelligens, ceux qui procurent des bénéfices, recouvrassent la liberté, les maîtres, hors d’état de garder à leur charge les paresseux et les invalides, chercheraient à s’en débarrasser par des affranchissemens volontaires : l’esclavage légal finirait par la ruine des colonies. Après avoir repoussé

  1. De la Société coloniale. – Revue des deux Mondes, n° du 15 juillet 1843.