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entreprenant de monter au-dessus de l’esprit humain et tombant misérablement au-dessous, et payant en quelque sorte la rançon d’une métaphysique inintelligible en se prêtant aux plus honteuses superstitions.

Lorsque la religion chrétienne triompha, elle rangea l’humanité sous une discipline sévère, qui mit un frein à ce déplorable mysticisme ; mais combien de fois n’a-t-il pas ramené, sous le règne même de la religion de l’esprit, toutes les extravagances des religions de la nature ! Il devait surtout reparaître à la renaissance des écoles et du génie du paganisme, au xvie siècle, quand l’esprit humain avait rompu avec la philosophie du moyen-âge, sans être encore parvenu à la philosophie moderne. Les Paracelse, les Vanhelmont, renouvelèrent les Apollonius et les Jamblique, abusant de quelques connaissances chimiques et médicales, comme ceux-ci avaient abusé de la méthode socratique et platonicienne, altérée dans son caractère et détournée de son véritable objet. Et même, en plein xviiie siècle, Swedenborg n’a-t-il pas uni en sa personne un mysticisme exalté et une sorte de magie, frayant ainsi la route à ces insensés que j’ai vus[1] me contester le matin les preuves les plus solides et les plus autorisées de l’existence de l’ame et de Dieu, et me proposer le soir de me faire voir autrement que par mes yeux, de me faire ouïr autrement que par mes oreilles, de faire usage de toutes mes facultés autrement que par leurs organes naturels, me promettant une science surhumaine, à la condition de perdre d’abord la conscience, la pensée, la liberté, la mémoire, tout ce qui me constitue être intelligent et moral ? Je saurai tout alors, mais à ce prix que je ne saurai rien de ce que je saurai. Je m’élèverai dans un monde merveilleux, qu’éveillé et de sens rassis je ne puis pas même soupçonner, et dont ensuite il ne me restera aucun souvenir ; mysticisme à la fois grossier et chimérique, qui pervertit tout ensemble la psychologie et la physiologie, extase imbécile renouvelée sans génie de l’extase alexandrine, extravagance qui n’a pas même le mérite d’un peu de nouveauté, et que l’histoire voit reparaître à toutes les époques d’ambition et d’impuissance !

Voilà où on en vient quand on veut sortir des conditions imposées à la nature humaine. Charron l’a dit le premier, et après lui on l’a répété mille fois : Qui veut faire l’ange fait la bête. Le remède à toutes

  1. Les magnétiseurs.