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lui-même. En effet, si nous disons que Dieu est un être, à côté et au-dessus de l’être nous mettons l’unité, de laquelle l’être participe, et que l’on peut dégager pour la considérer seule. L’être ici n’est pas simple, puisqu’il est à la fois être et unité ; l’unité seule est simple, car on ne peut remonter au-delà d’elle. Et encore, quand nous disons unité, nous la déterminons. La vraie unité absolue doit donc être quelque chose d’absolument indéterminé, qui n’est pas, qui ne peut même se nommer, l’innommable, comme dit Plotin. Un tel principe, qui n’est pas, à plus forte raison ne peut pas penser, car toute pensée est encore une détermination, une manière d’être. Ainsi l’être et la pensée sont exclus de la vraie unité. Si l’alexandrinisme les admet, ce n’est que comme une déchéance, une dégradation de l’unité. Considéré dans la pensée et dans l’être, le principe suprême est inférieur à lui-même ; ce n’est que dans la simplicité pure de son indéfinissable essence qu’il est le dernier objet de la science et le dernier terme de la perfection.

Pour entrer en rapport avec un pareil dieu, les facultés ordinaires ne suffisent point, et la théodicée de l’école d’Alexandrie lui impose une psychologie toute particulière.

Dans la vérité des choses, la raison conçoit l’unité absolue comme un attribut de l’être absolu, mais non pas comme quelque chose en soi ; ou si elle la considère à part, elle sait qu’elle ne considère qu’une abstraction. Veut-on faire de l’unité absolue autre chose que l’attribut d’un être absolu, ou une abstraction, une conception de l’intelligence humaine ? Ce n’est plus rien que la raison puisse accepter à aucun titre. Cette unité vide sera-t-elle l’objet de l’amour ? Mais l’amour bien plus que la raison aspire à un objet réel. On n’aime pas la substance en général, mais une substance qui possède tel ou tel caractère. Dans les amitiés humaines, supprimez toutes les qualités d’une personne ou modifiez-les ; vous modifiez ou vous supprimez l’amour. Cela ne prouve pas, comme le croit Pascal, que vous n’aimiez pas cette personne ; cela prouve seulement que la personne n’est rien pour vous sans ses qualités.

Ainsi ni la raison ni l’amour ne peuvent atteindre l’absolue unité du mysticisme. Pour correspondre à un tel objet, il faut en nous quelque chose qui y soit analogue, il faut un mode de connaître qui emporte l’abolition de la conscience. En effet, la conscience est le signe du moi, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus déterminé. L’être qui dit moi se distingue essentiellement de tout autre : c’est là qu’est