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Si l’on oppose le fouriérisme au saint-simonisme, on pourra s’assurer que les saint-simoniens n’ont rien à craindre de la comparaison. Les deux sectes ont également imité le moyen-âge. Le saint-simonisme voulait accoupler, comme les millénaires, une papauté sans dogmes à un libéralisme sans limites ; le fouriérisme revenait à l’idée du grand œuvre et continuait la tradition du naturalisme ancien. Tandis que les saint-simoniens exagéraient la révolution, Fourier la niait et la poursuivait de cyniques insultes. Les saint-simoniens, quelles que soient leurs erreurs, ont été héroïques d’audace, ils ont inspiré plus de dévouement, plus d’enthousiasme en deux ans que Fourier en quarante. Tous ont abordé de front le problème de la nouvelle religion ; ils ont entraîné dans leurs rangs quelques-uns des hommes les plus distingués de notre génération, et, en rendant le dernier soupir, ils ont légué au fouriérisme son principe de vitalité, le socialisme. Le fouriérisme, après son coup de tête de la Réforme industrielle, s’est amoindri, falsifié, déguisé, dans la crainte d’exciter l’hilarité universelle, et son seul mérite a été de se dissoudre à petit bruit en baissant de ton sur l’avenir harmonien, comme si, le mysticisme une fois admis, on pouvait marchander les merveilles du paradis et les mettre à la portée des économistes. Dès son origine, le fouriérisme a été frappé d’une stérilité si complète, que l’unique travail où l’école montre une sorte de vitalité se réduit à la politique de M. Considérant, étrangère à la pensée de Fourier. Pour développer la doctrine, M. Pompery la dissout dans une théorie de M. Pierre Leroux ; M. Doherty, dans les révélations de Swedenborg ; M. Daurio, dans je ne sais quelle vaine conception du groupe et de la série. Partout il ne reste que les lignes, le vague dessin d’une hiérarchie abstraite, où l’on place au gré de la fantaisie toutes les idées, sans règle, sans principe, sans logique. L’idée même du phalanstère est restée vague, confuse, et tout aussi incertaine que l’était la pierre philosophale dans l’esprit des alchimistes. Aucun ouvrage n’a paru sur le garantisme, l’époque actuelle que Fourier n’a point expliquée. Parmi les penseurs de la petite église, aucun n’a cherché à résoudre les mille objections sous lesquelles la philosophie écrase l’édifice matériel du phalanstère ; aucun n’a tenu compte des deux traditions mystique et matérialiste qui se réunissent pour s’entredétruire dans le système de Fourier ; aucun n’a soupçonné le mélange d’arithmétique vulgaire et de poésie pythagoricienne qui est l’ame et l’originalité même de cette colossale utopie. Un homme distingué, dont les idées ont plus d’une fois défrayé l’école, M. Perreyrnond, n’a jamais dit un mot du phalanstère, et ce n’est pas nous qui blâmerons sa réserve. Partout la propagande, la polémique, la prédication, ont présenté la même équivoque, qui consiste à prendre la niaise possibilité des douze passions pour un principe ; partout on a accepté l’agencement de possibilités extérieures comme une démonstration mathématique ; partout enfin on a commis la même bévue en accouplant au hasard le christianisme, la philanthropie et le phalanstère. Des démocrates, des conservateurs, que l’esprit d’aventure a réunis sous la même bannière, des matérialistes sans philosophie, des mystiques sans inspiration, voilà les forces de