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à la guerre ; elles peuvent trouver le plaisir dans le travail, le bonheur dans l’industrie : c’est la civilisation qui les pervertit. Il en résulte la possibilité abstraite et métaphysique d’un ordre de choses où les douze passions se combinent avec toutes les fonctions des arts et métiers ; mais, entre la possibilité métaphysique qui embrasse tout et l’acte positif et réel du phalanstère, il y a un abîme comment le franchir ? Il s’agit de prouver d’une manière directe et positive que, dans la nouvelle commune, les paysans, les hommes du peuple, pourront se livrer à l’attrait des travaux élégans, que les marquises se passionneront pour le blanchissage, que les comtesses feront la cuisine, que les rois exerceront réellement le métier de serrurier et de cordonnier. Il s’agit d’utiliser tous les goûts, les plus immondes comme les plus purs, d’absorber l’humanité dans l’industrie attrayante en lui faisant oublier toutes les idées actuelles de décence, de distinction ; il s’agit de trouver une myriade de coïncidences miraculeuses entre les instincts et l’industrie, de manière à satisfaire toutes les vanités, toutes les ambitions, et si un seul homme se trouve en dehors des lois de l’attrait, si un seul meurtre est commis, il y a des geôliers, des supplices, il y a la guerre : le phalanstère est manqué.

Quelle est donc, nous le répétons, la preuve directe et définitive du phalanstère ? Cette preuve, nous l’avons cherchée en vain dans le principe de l’association, dans la critique de la société, dans l’apologie de la nature, dans l’apologie des passions, dans la Providence divine. Le phalanstère ne se fonde que sur la théorie des nombres. Le nombre est neutre, impersonnel ; il pénètre à travers les trois règnes de la nature, et il reste toujours le même ; il mesure tout ce qui tombe dans l’espace et dans le temps, il saisit, il rapproche tout : la figure des minéraux, les formes des végétaux, celles de la vie, les phases de l’année, la marche des astres. L’ordre et la symétrie se laissent entrevoir partout ; partout il y a les traces de je ne sais quel rhythme mystérieux qui se répète de loin en loin dans la création. Or, le nombre fixe les rhythmes, les assonances, il note les multiples et les diviseurs qui se répètent dans la nature. On dirait qu’il touche à l’essence intime des choses. Il y a sept couleurs, sept tons ; la triade et la tétrade s’additionnent, se divisent, se multiplient de mille manières avec une constance infaillible dans les productions naturelles comme dans la marche des astres. Le nombre est donc un premier principe, se dit Fourier, comme Dieu et la matière : il gouverne les mondes, il organise la fleur, la charpente de l’animal, les formes de la vie, enfin cette force que l’on nomme la passion. Le nombre groupe tous les êtres d’après ses lois symboliques ; il développe par séries tous les groupes ; la série distribue les harmonies dans l’univers ; la création se résout dans une grande loi sériaire dont les enchaînemens indéfinis frappent sans cesse nos yeux. Or, la série, d’après Fourier, est parfaite dans la nature entière ; il n’en doute pas un instant : la série est vivante, les astres vivent comme les animaux ; Fourier en est encore parfaitement certain. Partout cette vie est mobile, partout le développement s’accomplit par l’attraction, partout le mouvement s’identifie