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Une autre fois l’Ariane champêtre s’adresse au vent : « O brise qui murmures, vent qui grondes, dis-moi d’où tu viens, où tu vas. » Mais le vent poursuit sa course sans l’entendre. « Le secret de ma vie, enfant, est-ce que moi-même je le sais ? Je l’ai demandé aux montagnes, je l’ai demandé au ciel, aux fleuves, à l’océan, et ni les montagnes, ni le ciel, ni les fleuves, ni l’océan, ne m’ont répondu ; ainsi je vais depuis des siècles. — De grace, arrête un seul moment, s’écrie alors la jeune fille, ne me diras-tu pas au moins en quels lieux est la patrie de l’amour, ne me diras-tu rien du secret de sa naissance et de sa fin ? — Qui peut répondre à ce que tu me demandes ? L’amour, ma belle, est comme le vent : rapide et prompt, jamais il ne repose, il est éternel ; qui change, c’est le cœur ! »

La muse de M. Édouard Moerike aime le merveilleux, les histoires de sorcières et les contes de fées, en un mot toute cette poésie du nord de l’Allemagne dont nous avons vu Kerner naturaliser l’esprit au jardin du Neckar. Ainsi même en ce groupe souabe si étroit, si uni, l’étude nous signale deux tendances, l’une réaliste, historique, plus portée, quand le surnaturel se rencontre, à le circonscrire dans l’ordre des phénomènes de conscience : Uhland et Schwab ; l’autre exclusivement romantique et toujours prête à transporter les choses sur le domaine de la fantaisie : Justin Kerner et M. Édouard Moerike, son meilleur élève ou disciple, comme il vous plaira. « Il n’est point mal, écrit le docteur Frédéric Vischer, dans ses Sentiers critiques, il n’est point mal que de temps en temps la poésie se révèle sous une apparence fantastique à la plate raison qui prétendrait la condamner à ne jamais produire qu’une froide et vulgaire copie des choses, ne fût-ce que pour montrer à sa rivale, si prompte à regarder toute simplicité dans l’ame comme une concession faite à sa manière prosaïque : d’envisager le monde, ne fût-ce, disons-nous, que pour lui montrer que le génie poétique, loin de laisser les choses comme elles sont, les modifie, les retourne et les transporte dans un royaume nouveau et Imaginaire. » Pour ma part, je me range assez volontiers de l’avis du docteur de Tubingen, et j’avoue que j’adore les arabesques lorsqu’elles ont de sveltes encolures de sirène, des huppes de colibri et de voluptueux enroulemens de fleurs. — En parlant de sirène, il nous semble ouïr les voix traîtreusement enchanteresses de celles dont MM. Édouard Moerike peuple les grottes de son lac. Sirène ici n’est pas tout-à-fait le mot ; en cette mythologie du moyen-âge nixe conviendrait mieux : si je l’écris, me le passera-t-on ?

Dans leur palais profond, sous les gouffres marins,