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traces de ces dispositions administratives, et l’action des autorités russes se borne à prendre les mesures indispensables à la conservation des droits respectifs des peuples limitrophes. Tous les peuples d’origine étrangère sont jugés d’après leurs propres usages et coutumes. L’application des lois russes n’a lieu que dans les questions capitales, à l’occasion de crimes graves, ou bien dans les cas non prévus par les institutions nationales. Les peuplades comprises dans la troisième section sont exemptes de tout impôt et redevance. Les deux autres paient un faible impôt nommé yassak, consistant en un certain nombre de fourrures. On leur a d’ailleurs accordé le droit de payer ce tribut soit en nature, soit en argent, comme aussi d’employer le produit de leur chasse pour acheter aux bureaux du gouvernement la poudre, le plomb et autres objets de première nécessité.

Chaque tribu possède en propre un territoire dont les limites sont déterminées par le gouvernement. L’immensité de l’étendue permet de consacrer à cet usage des lots infiniment supérieurs à ce qu’exige l’entretien des peuplades, et qui dépassent même ce que leur industrie peut exploiter. Néanmoins il est expressément défendu aux colons russes de s’établir sur les domaines concédés aux peuples de race étrangère. Ceux-ci, au contraire, jouissent du droit d’entretenir avec les Russes, sans réserve ni restriction aucune, toutes les relations de commerce qu’ils sont en mesure de former. Par là, on évite l’envahissement de leurs terres en même temps qu’on facilite les transactions, et par suite la fusion de ces peuples d’origine diverse. Une seule exception est posée à cette liberté illimitée. Le commerce des boissons spiritueuses est sévèrement prohibé. C’est là une mesure pleine à la fois de moralité et de prudence, car les populations de ces contrées ont un penchant invincible pour l’ivrognerie, et l’introduction chez elles de nos liqueurs alcooliques ne manquerait pas d’entraîner les suites funestes dont les exemples ne sont que trop multipliés chez les nations sauvages qui ont reçu des Européens ces poisons lents, mais d’une action si inévitable.

Ce qui distingue surtout l’organisation sociale de la Sibérie, c’est l’absence de tout servage proprement dit. On sait qu’en Russie, les paysans, propriété des seigneurs, sont attachés à la glèbe ou à la maison de leur maître. En Sibérie, il n’en est pas ainsi. Les cultivateurs appartiennent à la catégorie des paysans de la couronne, c’est-à-dire que, moyennant une redevance fixe de 11 roubles ou environ 11 fr. par tête, ils peuvent donner à leur industrie toute l’étendue dont elle est susceptible. Sous ce rapport, les peuples de race étrangère sont assimilés