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de présumer ce qui se passait dans son ame : nous sommes trop étrangers aux idées sous l’empire desquelles on vivait alors à Mexico, et la superstition avec ses extravagances est comme un de ces labyrinthes tortueux et sombres où il est impossible de distinguer le chemin qu’un homme a pu suivre parmi les détours les plus bizarrement compliqués. Si les idées qui peuvent naître d’une aveugle superstition associée à l’astrologie n’étaient pas presque toujours au rebours de l’ordre naturel du raisonnement, aux antipodes de la logique et du bon sens, on pourrait expliquer la conduite indécise de Montezuma et les contradictions de sa politique vacillante en disant qu’il était dominé tour à tour par un penchant à se conformer aux prophéties qui annonçaient le retour de Quetzalcoatl ou de sa race, et par le désir de conserver l’empire, même en dépit des envoyés de ce dieu vénéré. En tant qu’empereur jaloux de sa souveraineté, Montezuma redoutait ces étrangers sur lesquels des rapports propres à inspirer de l’effroi lui étaient parvenus. Le contact de ces êtres formidables ne pouvait manquer d’être fatal à son autorité. D’un autre côté, n’était-ce pas Quetzalcoatl qui revenait, conformément à la tradition, ou qui envoyait ses enfans ? Une vague rumeur courait depuis plusieurs années que le moment solennel du retour de ce bon et puissant prince était proche, et dans ce cas ne fallait-il pas recevoir les Espagnols avec le plus profond respect, le plus grand empressement ? Des présages menaçans se multipliaient depuis quelque temps. Les astrologues prédisaient que des calamités étaient suspendues sur l’empire, et c’est sans doute à ce motif qu’il faut attribuer le redoublement des sacrifices humains offerts alors aux dieux en expiation.

Dans les tiraillemens de son indécision, Montezuma, à l’arrivée des Espagnols, avait réuni le grand conseil de l’empire, dont faisaient partie les rois de Tezcuco et de Tlacopan. Qu’étaient ces êtres d’une race ignorée ? quel accueil leur fallait-il faire ? Était-ce ou non la descendance de Quetzalcoatl ? étaient-ce des hommes ou des êtres surnaturels ? Ce devaient être des hommes, et bien des raisons donnaient à croire que c’étaient les envoyés de Quetzalcoatl : ils venaient de l’orient, ils étaient blancs et barbus, ils étaient courageux, invincibles. Cependant, s’ils venaient de la part de Quetzalcoatl, comment étaient-ils ennemis des dieux du pays ? Quelques personnes inclinaient à les bien recevoir, et entre autres Cacamatzin, qui avait succédé, avons-nous dit, à son père Nezahualpilli sur le trône de Tezcuco ; mais cet avis n’avait pas été du goût de Montezuma. Finalement l’empereur ne s’était arrêté à aucun parti. Dans ses tergiversations, il