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frais d’une croisade nouvelle en Terre-Sainte, ce qui ne l’empêche point d’attacher un grand prix à son titre d’amiral de Castille et aux avantages matériels attachés à ce titre. Tenons-nous-en à Cortez et au Mexique. Cortez, comme Colomb, comme tous les Espagnols de ce temps qui venaient d’achever de reprendre les Espagnes sur les Maures, avait dans l’ame une foi active et envahissante. Les imaginations étaient exaltées dans la Péninsule. C’était la foi qui avait donné à une troupe de cavaliers réfugiés dans les Asturies la force de triompher de califes puissans ; de quoi donc n’était-on pas capable quand on combattait pour la foi ! L’ardeur religieuse naturelle à ce siècle s’était accrue de tout ce qu’y pouvait ajouter le feu sacré du patriotisme. Pour la jeunesse qui sortait de terre sous les pas des vainqueurs de Grenade et de Cordoue, soumettre des infidèles, établir le culte de la croix dans des contrées où le signe de la rédemption n’avait pas brillé encore, c’était l’ambition souveraine, la gloire suprême, un bonheur sans pareil. Une expédition dans le Nouveau-Monde était une croisade. La guerre contre les Indiens, par cela seul qu’ils étaient infidèles, était une guerre sainte. Leur faire confesser la foi était un mérite incomparable. À ce prix, qu’on eût donné carrière à ses passions, qu’on eût été licencieux, cupide, sanguinaire, peu importait : tout péché était racheté par une aussi bonne œuvre, et on allait droit au ciel. Contre les mécréans, et tout non croyant était tel, tous moyens étaient bons, pourvu qu’on leur fit accepter le baptême. La foule en était persuadée, quoique quelques-uns des chefs fussent plus éclairés et plus humains.

Cortez, de même que tous les hommes grands et petits, était de son temps. Il en partageait, à des degrés divers, les illusions et les préjugés, comme il en avait le courage et la foi. Son chapelain, Gomara, nous a conservé la harangue qu’il adressa à sa troupe au moment de quitter définitivement l’île de Cuba, à la revue du cap Saint-Antoine. Il termine par ces paroles, que, si leur nombre est petit, ils ont avec eux le Tout-Puissant, qui n’a jamais abandonné les Espagnols dans leurs luttes contre les infidèles. Que fait la multitude des ennemis qu’ils peuvent rencontrer, puisqu’ils sont sous la bannière de la croix ? Cette conviction ne le quitta jamais, et il la maintint chez ses compagnons ; grande raison pour qu’ils triomphassent. Le meilleur moyen qu’un homme accomplisse une œuvre, quelque difficile qu’elle soit, c’est qu’il se soit persuadé qu’il ne la pouvait manquer. Cortez fut d’une sagacité extraordinaire, d’une politique extrêmement habile, d’une intrépidité sans égale, d’une vigilance inouie, d’une prudence consommée en même temps que d’une audace prodigieuse ; il possédait