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donc venu ce désir singulier de refaire la biographie de Voltaire et de Rousseau ? Pourquoi publier en français cette fraction isolée de sa galerie du XVIIIe siècle, et venir nous apprendre, à nous Français, assourdis depuis cent ans des noms de Rousseau et de Voltaire, ce que nous devons penser désormais de ces deux hommes, et les anecdotes secrètes de leur vie ? Hélas ! nous en savons sur eux bien plus long que lord Brougham n’en saura jamais. Nous avons les révélations de Longchamps, les confidences de Bernardin de Saint-Pierre, les méchancetés de Mme Dudeffant, les niaiseries du marquis de Villette, et que sais-je ? jusqu’aux attaques de M. de Bonald et de M. de Maistre. Nous savons fort bien ce que c’est que le pauvre Luc, sobriquet grossier dont Voltaire affublait sa majesté le roi de Prusse, et que lord Brougham, dans sa candeur excessive, « croit avoir été un grand coquin dont le nom était employé dislogistiquement. » Non, my lord, ce Luc n’était pas un grand coquin ; l’honnêteté nous défend de vous donner des indications plus précises. Nous savons exactement ce que c’étaient que Thérèse et Mme de Warens, et nous connaissons sur le bout du doigt le plan des Charmettes. La bibliothèque relative à Rousseau et à Voltaire pourrait, sans exagération, être portée à quarante mille volumes ; la merveilleuse et microscopique exactitude de M. Beuchot vous renseignera là dessus, et la plupart de ceux de nos compatriotes que le cours actuel de la civilisation intéresse ont lu ou tout au moins feuilleté ces nombreux réceptacles de mensonges et de préjugés. Lord Brougham ne pouvait être au courant, comme nous, de cette vaste controverse ; aussi son œuvre sans nouveauté nous semble-t-elle courir trop lestement à la surface des objets et des idées.

Avouons néanmoins que le docteur Schlosser, en se posant juge de nos querelles, s’est montré plus fertile mille fois que lord Brougham en outrecuidances erronées ; par exemple, il nous apprend[1] que Voltaire a écrit des hymnes dans le style de la Marseillaise ; il exagère démesurément l’importance des couplets satiriques attribués avec assez de vraisemblance, mais sans aucune certitude, à Voltaire contre le régent. Il affirme que l’auteur de Zaïre était fort célèbre avant son départ pour Londres, ce qui est absolument inexact, et il ajoute que Bolingbroke, pendant son séjour à Londres, lui donna des leçons d’impiété, ce qui ne l’est pas moins. Les erreurs de M. Schlosser sont matérielles ; ce sont des erreurs de fait. Celles

  1. Tome I, page 110.