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français, et qui se retrouvent chez Robertson et chez Hume, avec des caractères choisis d’élévation et de bon goût. Pourquoi M. Schlosser n’a-t-il rien dit de ces détails ? Il méprise beaucoup ce qu’il nomme les « cancans anecdotiques » et le « bric-à-brac de l’histoire privée. » A la bonne heure ! mais avec ce système de vastes généralités et ce sublime dédain pour les petits faits, on court risque de procéder par grandes erreurs.

La partie vraiment excellente de l’œuvre du docteur Schlosser est celle qui concerne l’Allemagne. Nécessaire à consulter pour bien connaître le fonds littéraire de ce pays depuis Lessing jusqu’à Goethe, elle corrige les légèretés et les inexactitudes incroyables des meilleures œuvres françaises consacrées à la même matière. Ce n’est pas que le docteur ne s’étende un peu trop sur les grands hommes de son pays ; Lessing comparé à l’orateur Fox, Von Thümmel placé à côté de Burns, Miller d’Ulm et Miller d’Itzehoe analysés à la loupe, nous fatiguent un peu. Que nous importe la colère du prince de Hohenloë-Bartenstein contre le baron de Munster-Landegge, qui avait traité son altesse de Hochgeborne Reichsfürsten, et non pas de Durchlauchtig Hochgebornen[1] ? Cette tempête dans un verre d’eau ne méritait point cinq pages, quelque importance que ce grand débat entre deux petites sérénités pût avoir aux yeux du journaliste Von Goeckingk.

J’aurais mieux aimé que le docteur Schlosser nous expliquât définitivement la singularité de cette littérature allemande du XVIIIe siècle, nouée dans son germe, débutant par la critique, tout érudite et méditative, vieille avant d’être naïve, posthume avant d’être jeune, donnant Lessing avant Goethe, et la règle avant la pratique ; curieuse par cela même qu’un immense flot de doutes et d’acquisitions, de théorèmes et de théories, un autre panthéisme alexandrin circulait au fond de ses veines long-temps avant que Goethe eût créé son panthéisme poétique. J’aurais voulu que l’historien montrât le lien qui rattachait Lavater, l’illuminé protestant, à l’autre illuminé protestant Whitgift, et aux sectaires anglais de la même époque ; qu’il nous montrât quel cours identique d’idées réformatrices emportait à la fois Jean-Jacques Rousseau, Basedow et Godwin, celui-ci en Angleterre, le second en Allemagne, le premier en France, tous trois calvinistes de naissance, et prétendant ramener l’homme à la nature par la force de l’éducation. Le portrait de Basedow, Jean-Jacques grotesque qui s’obstinait à

  1. Noble prince, au lieu de très illustre noble.