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d’Holbach, tout frais émoulu des salons de Voltaire et de Mme Geoffrin, alla le 15 octobre 1764 s’asseoir parmi les ruines du Capitole, et là, pendant que les moines chantaient vêpres dans le temple de Jupiter et que le soleil se couchait sur la campagne romaine, conçut la première pensée de l’œuvre où il voulut réhabiliter le polythéisme en racontant les dernières lueurs de la gloire païenne, — Gibbon ne doit pas être confondu avec les rhéteurs vulgaires. Païen d’une seconde renaissance, hostile et convaincu, il mettait au service de cette attaque définitive contre le christianisme son érudition et son talent ; pour le classer, il ne suffit pas de signaler l’ambitieuse ornementation de son style et de railler avec plus ou moins de bon goût ses disgraces extérieures.

Robertson n’est pas mieux caractérisé quand on affirme qu’il écrivait, « pour les gens du monde et les gens d’affaires, des périodes arrondies, » et que c’était un historien médiocre : modération n’est pas médiocrité. Pour l’apprécier sainement, il fallait, non comme lord Brougham, son neveu[1], lui ménager une complète apothéose, mais le rallier à ce petit groupe anglo-écossais du XVIIIe siècle, auquel Benjamin Constant, si admirablement analysé par notre ami M. Sainte-Beuve, appartenait par l’éducation, et dont Dugald Stewart a été le centre quelque temps. Ce groupe, plus lumineux qu’il n’était ardent, mais utile vers la fin du XVIIIe siècle par le contrepoids de sa raison modeste et tempérée, se rallie à Genève, calviniste et presbytérienne comme l’Écosse, et mériterait un analyste spécial, qui dirait combien de services il a rendus à l’Europe moderne pour l’élucidation et la propagation des idées. Lord Brougham lui-même n’est pas étranger à cette veine particulière. C’est ce groupe de raisonneurs et d’écrivains sobrement élégans qui, dès 1770, guidé par Reid, a battu le scepticisme en brèche et refait la conscience humaine. Aux saturnales des Lamettrie et des Naigeon, ils opposèrent une sagesse fine et douce, une morale scientifique revêtue d’un style pâle et d’une élégance un peu timide, qui ont déteint sur beaucoup de romans anglais et même

  1. Petit-neveu par sa mère. Lord Brougham, du côté paternel, appartient à une très ancienne famille du Westmoreland, de race anglo-saxonne, puisque les Brougham sont mentionnés du temps d’Édouard-le-Confesseur. La terminaison ham (Hex-ham, Nottin-ham, Bucking-ham, Dur-ham, Birming-ham) est saxonne pure, et n’est autre que la racine heim, home, « habitation » (domus). Nous n’appuierions pas sur ces minces détails, si nous n’écrivions en face de je ne sais quelle petite école pédantesque et étourdie, toute prête à imputer ses ignorances à l’erreur d’autrui, et à inventer des légèretés pour se donner le plaisir d’en triompher.