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mais il ne refuse pas de laisser à cette dernière une juste part : cela résulte de ses propres discours. De même, on peut croire que M. de Lamoricière ne repousserait pas tout essai de colonisation militaire, à la condition toutefois que la colonisation civile fût tentée sur une grande échelle. Ces deux opinions pourraient donc, sinon se concilier, du moins se tolérer l’une l’autre à la faveur de concessions réciproques. On pourrait essayer à la fois les deux systèmes sur des points différens. Ce sera sans doute le parti que prendra le gouvernement, et que lui conseilleront les chambres.

Dans peu de jours, on saura sans doute le résultat de l’entrevue du maréchal avec M. le président du conseil, à Soultberg. Des circonstances, que tout le monde connaît, donnent à cette entrevue un intérêt particulier. Nous désirons sincèrement qu’elle soit de nature à apaiser les ressentimens légitimes qui ont pu s’élever dans l’esprit du maréchal Bugeaud, et qui, d’après le bruit public, lui ont rendu si difficile l’exercice de son gouvernement.

La France vient de perdre une des plus grandes intelligences de ce temps-ci, un des plus rares esprits, un des caractères les plus purs, un des hommes qui ont exercé le plus d’influence sur les idées morales et politiques de notre siècle. M. Royer-Collard est mort à l’âge de quatre-vingt-deux ans. Sa fin a été calme comme sa vie. Il a senti long temps la mort s’approcher. Il le disait tranquillement à ses amis, jadis ses disciples, aujourd’hui philosophes illustres, grands écrivains, hommes d’état, devenus les héritiers de sa gloire, et les chefs des générations nouvelles. L’un d’eux, que les tourmentes politiques avaient séparé de lui pendant de longues années, l’a revu plusieurs fois dans les derniers momens de sa vie. Cette réconciliation avait laissé dans l’ame du vénérable vieillard une impression profonde. Il en parlait souvent avec attendrissement ; il remerciait la Providence d’avoir procuré à ses derniers instans une joie si vive, et d’avoir effacé de son ame tant de souvenirs amers. Une autre plume que la nôtre retracera dans cette Revue l’existence si pleine de M. Royer-Collard, ses travaux politiques, sa carrière parlementaire, sa popularité si grande et si méritée, la puissance de cette parole si énergique et si concise, ces mots profonds qui étaient recueillis comme des arrêts sur les choses et sur les hommes. La mort de M. Royer-Collard laisse un fauteuil vide à l’Académie. Toutes les voix s’accordent à reconnaître que cette succession glorieuse appartient à M. de Rémusat.

La reine d’Angleterre est venue pour la seconde fois visiter le roi des Français au château d’Eu. Cette visite courte, mais gracieuse, a été présentée par les journaux du ministère sous des couleurs convenables. On n’a pas eu, cette fois, la maladresse d’en faire un sujet de triomphe ; on n’a pas pris le style de l’épopée ou du roman ; on a été simple et vrai : c’était le meilleur moyen de célébrer cet heureux évènement. La France peut se sentir flattée des témoignages d’estime et d’affection donnés par la jeune reine des trois royaumes au représentant couronné de la révolution de juillet. Pour faire cette visite amicale, la reine Victoria, venue des côtes de Belgique, a prolongé