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d’eau la plus favorable aux terres, sans que, grace aux passages latéraux garnis d’écluses, cet avantage fût acheté par des inondations. Sans interdire formellement sur les ruisseaux de peu d’importance l’établissement des usines à moteurs hydrauliques, on ne l’aurait autorisé, là comme partout, qu’avec certaines réserves, c’est-à-dire qu’après avoir pourvu à l’alimentation régulière du canal, on aurait utilisé, s’il y avait lieu, une partie de la puissance des chutes pour élever l’eau sur les plateaux voisins, de manière à étendre au loin le bienfait de ces irrigations, en ne laissant aux usines que ce qui resterait de force disponible après la juste satisfaction de ces besoins. Il résulterait de là qu’à la différence de ce qui se voit aujourd’hui, c’est sur les cours d’eau de quelque importance, sur les rivières plutôt que sur les ruisseaux, que les usines seraient établies, puisque c’est là surtout qu’elles auraient trouvé dans les chutes un excédant de force suffisant pour leur usage. Est-il besoin d’ajouter que c’est là leur véritable place, celle que leur propre intérêt leur assigne, et qu’elles adopteraient toujours de préférence s’il leur était permis de choisir, puisque c’est là seulement qu’elles peuvent trouver dans l’activité qui les entoure, dans les communications par terre et par eau dont elles sont en possession, la satisfaction immédiate de leurs besoins ?

Si un tel système avait prévalu en France ; si d’ailleurs il était passé du principe à l’application, c’est alors qu’il eût été vrai de dire sans restriction que tout le mouvement industriel, aussi bien que le mouvement commercial du pays, est indissolublement lié au parcours des voies navigables. Nous avons fait remarquer ailleurs que les chemins de fer n’ont pas, pour attirer les établissemens industriels et les populations sur leur parcours, la même puissance que les voies d’eau, et cela est évident, même dans l’état actuel de la France ; mais combien cette vérité ne serait-elle pas plus frappante, si les voies d’eau étaient ce qu’elles doivent être ! Comment se pourrait-il, par exemple, qu’un chemin de fer conduit à travers les plaines de la Picardie détournât l’activité qui règne sur la Somme entre Amiens et Abbeville, alors que cette rivière, par les onze bras qu’elle projette dans Amiens, et qui sont autant de moteurs puissans, par les chutes d’eau qu’elle alimente encore tout le long de son cours, par les riches cultures qu’elle entretient dans la vallée, par les magnifiques tourbières qu’elle y a formées de ses dépôts, crée, pour ainsi dire, elle-même les trois quarts des produits qu’elle transporte ? Supposons la Seine canalisée ; il n’y a pas un seul des barrages établis sur son parcours qui ne permît