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voies d’eau, et qu’on se demande jusqu’à quel point elle resterait habitable. Sans doute les puits creusés de main d’homme ou les eaux pluviales convenablement aménagées satisferaient encore à de nombreux besoins ; qui ne voit pourtant combien ces ressources seraient, pour les hommes même, ou précaires ou chétives ? Et quelle serait d’ailleurs, dans un tel état de choses, la condition du sol ? Il y perdrait son plus bel ornement, sa plus riche parure, ses produits les plus savoureux, les plus féconds. Plus de ces vallées riantes, toujours fraîches, toujours humides ; plus de gras pâturages, ni aucune de ces cultures plantureuses dont l’élément liquide est le premier besoin. Tout au plus y trouverait-on encore de bonnes terres arables, pour lesquelles, à toute rigueur, l’eau du ciel suffit. Encore n’est-ce là qu’une vue incomplète, et, pour se faire une juste idée de cet état de choses, il faudrait se représenter, à côté du mal causé par l’absence des eaux, les désordres causés dans d’autres cas par leur surabondance. Privées des moyens d’écoulement que les ruisseaux ou les rivières leur procurent, que deviendraient les eaux pluviales dans la saison où le ciel les verse en abondance, et quelquefois par torrens ? Elles s’amasseraient dans les plaines basses, et surtout dans les bas-fonds. Ici elles formeraient des mares que le soleil dissiperait peut-être en été, mais toujours trop tard pour la culture ; ailleurs elles créeraient, en s’accumulant dans une mesure plus forte, des lacs ou des marais permanens, sous lesquels disparaîtrait la terre cultivable, ou qui empesteraient l’air par leurs perfides émanations. Voilà donc quel serait au vrai l’aspect de la terre : ici des plaines arides et nues, là des lacs inutiles ou des marais fangeux ; nulle part un sol rendu favorable par la distribution régulière et le juste équilibre des eaux. Ménager cette distribution, établir cet équilibre, telle est donc la fonction primitive, essentielle, de toutes ces coupures hydrauliques qui, sous un nom quelconque, sillonnent le sol.

La nature, dira-t-on, y a pourvu, et c’est aux voies d’eau naturelles que tout ceci s’applique. Oui, la nature y a pourvu ; mais est-il nécessaire d’avoir étudié de bien près, et la configuration du sol, et les accidens dont il est semé, et le mouvement des eaux qui s’agitent à sa surface, pour reconnaître que la nature a laissé son œuvre, comme toujours, à l’état de grande et magnifique ébauche, qu’elle n’a pourvu à la distribution des eaux que d’une manière irrégulière et incomplète, qu’il se trouve dans le système hydraulique dont elle a gratifié la terre des imperfections et des lacunes ? Eh bien ! combler ces lacunes, corriger ces imperfections, prévenir les désordres qui en sont la suite,