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des écoles ; c’est dans cette classe d’hommes qu’on trouve le plus de simplicité, de sincérité et de bonté pure ; car, nous autres, qui passons notre vie au barreau et dans les contestations réelles, nous y apprenons, bon gré, mal gré, beaucoup de malice[1]. » Gresset, même dans le temps de ses plus grandes malices, fut toujours un peu un homme de cette nature, un scholasticus comme Pline le dit en bonne part du rhéteur Isée, et comme Voltaire l’a dit moins bénignement de lui dans ces vers si connus :

Gresset doué du double privilége
D’être au collége un bel-esprit mondain,
Et dans le monde un homme de collége.

Aussitôt après sa sortie des jésuites (1735), Gresset, accueilli dans le monde, et particulièrement à l’hôtel de Chaumes par suite de ses relations de province, prodigua, pendant les années suivantes, une foule de vers légers, agréables en naissant, dans le genre de Chaulieu et d’Hamilton ; mais, si Hamilton est un inimitable modèle, ce n’est point par ses vers assurément. Ceux de Gresset avaient pourtant de quoi plaire dans leur nouveauté : J.-B. Rousseau, qui les recevait à Bruxelles, ne se contenait pas de joie, et voyait déjà dans le nouveau-venu un rival et un vainqueur de Voltaire : « Je viens de relire votre divine Épître (celle à ma Muse), lui écrivait-il ; et, si la première lecture a attiré mon admiration, je ne puis m’empêcher de vous dire que la seconde a excité mes transports. » Il est vrai que, dans l’épître en question, Gresset y parlait de Jean-Baptiste comme d’un Horace, et le proclamait ce Phénix lyrique. De son côté, Frédéric, avec qui Gresset était en correspondance, trouvait ses vers d’un acabit admirable. Desfontaines, plus judicieux, concluait, après bien des éloges : « Ce sont de jolis riens qui ne conduisent à rien. »

À les relire aujourd’hui, en effet, presque tous ces vers de Gresset ne nous offrent plus guère qu’une interminable enfilade de rimes entrecroisées dans lesquelles chaque mot ne marche qu’invariablement escorté de son épithète : pur babil, ramage, une sorte de loquacité poétique qui prouve de la facilité plutôt que de la verve : facilitas potius quam facultas. Il ne sait ni s’arrêter ni finir sa phrase ; le sens est noyé. Dans ce courant verbeux, redondant à l’oreille et plus gonflé

  1. « Animum sexagesimum excessit, et adhuc scholasticus tantum est ; quo genere hominum nihil aut simplicius, aut sincerius, aut melius. Nos enim qui in foro verisque litibus terimur, multum malitiæ, quamvis nolimus, addiscimus. » (Epist., liv. II, 3.)