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Églogues de Virgile, faite à vingt et un ans, je franchis d’un pas tout ce premier bagage, sur lequel le biographe, comme de juste, s’appesantit. Gresset, jésuite, avait vingt-cinq ans lorsqu’en 1734, Ver-Vert s’échappant par mégarde de son portefeuille, trois éditions (quel scandale !) en parurent coup sur coup, et divulguèrent un talent nouveau du côté où l’on s’y attendait le moins. Le succès de ce petit poème fut inimaginable ; la condition de l’auteur ajoutait au piquant. Envoyé en pénitence à La Flèche, par une punition fort douce, convenons-en, et de bien peu de durée, il ne revint à Paris que pour récidiver de plus belle : la Chartreuse courut avec la pièce des Ombres, qui en est la suite, et un libraire les imprima. Cette fois, l’affaire parut plus grave ; quelques vers étaient de nature à mécontenter le parlement. Les supérieurs se décidèrent à renvoyer Gresset de la compagnie, non sans avoir consulté le cardinal Fleury, qui écrivait là-dessus au lieutenant de police Hérault :


A Issy, le 23 novembre 1735.

« Voilà une lettre, monsieur, du père De Linyères, au sujet de ce jeune homme dont vous m’avez donné trois petits ouvrages. Celui du Perroquet est très joli et passe bien les deux autres ; mais il est bien libertin, et fera très certainement des affaires aux jésuites, s’ils ne s’en défont. Tout le talent de ce garçon est tourné du côté du libertinage et de ce qu’il y a de plus licencieux, et on ne corrige point de pareils génies. Le plus court et le plus sûr est de le renvoyer, car les Nouvelles ecclésiastiques[1] triompheront sur un homme de ce caractère… »


J’ai cité cette lettre parce qu’elle me paraît caractériser à merveille, dans le ton paterne du bon octogénaire, le genre de libertinage, comme il disait, dont la muse de Gresset s’était rendue coupable ; c’est un petit libertinage léger et sans trop de fond, une gaieté de jeunesse très émoustillée, et qui ne tire pas tellement à conséquence qu’elle ne fasse encore sourire le digne cardinal au moment où il la condamne : on sent que, s’il ne faut plus garder Gresset chez les jésuites, il n’est pas perdu sans ressource pour cela, et qu’il pourra revenir à résipiscence, comme y revint ce Ver-Vert lui-même qu’il a si gentiment chanté. Dans une lettre à peu près du même temps, que Gresset écrivait à sa mère après son retour de la pénitence à La Flèche

  1. Journal janséniste.