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préparent encore la grande solidarité qui ne manquera pas de lier un jour tous les habitans du globe.

Il faut voir chez Jacquemont, Elphinstone ou Alexandre Burnes, quel pressentiment amer, quelle terreur sourde avertissent ces races placées entre l’influence moscovite et la puissance anglaise, barbares Sicks, Afghans, Thibétains et Bokhares, que le moment fatal va venir, et que bientôt s’éteindra l’indépendance de leurs coutumes antiques. Toutes le savent ; les plus timides courbent la tête, accablées par cette destinée qui absorbe les races inférieures au profit des races supérieures et des hautes civilisations ; les plus barbares et les plus lointaines se soustraient de leur mieux aux regards des observateurs européens, et les tuent quand elles peuvent.

Il n’y a pas, en ce genre, de victimes plus intéressantes et plus volontaires que deux officiers anglais, Stoddart et Conolly, sur lesquels un homme de beaucoup de cœur, d’obstination et de hardiesse, mais d’infiniment trop de violence, à ce qu’il nous semble, le capitaine Grover, a récemment attiré l’attention de l’Europe. Avant d’esquisser rapidement leur histoire, nous entrerons dans quelques détails nécessaires ; nous dirons ensuite pourquoi le capitaine Grover les signale comme sacrifiés par les autorités anglaises avec une lâche et indigne cruauté. La polémique soulevée à ce sujet ne nous arrêtera point ; régler les intérêts de la grande politique moderne n’est pas une de nos prétentions, assez d’autres se chargent de ce soin. Encore moins nous immiscerons-nous dans les affaires intérieures de la grande et petite Bokharie ; défendre lord Aberdeen, incriminer lord Palmerston, appartient à d’autres : nous n’en savons pas assez pour cela ; mais la marche de la civilisation nous intéresse ; nous chercherons donc à expliquer, à éclaircir, à rectifier, d’après les documens nombreux qui ont été publiés, un récit obscur et curieux, triste et romanesque, qui surtout importe à l’histoire moderne.

En 1838, sir John Mac-Neil était ambassadeur de sa majesté britannique auprès du schah de Perse. On sait dans quelle situation politique cette partie du monde se trouvait, quelles intrigues s’y nouaient, avec quelle peine l’Angleterre essayait de se défendre, sans y parvenir, contre l’influence de la Russie. Ces menées, sourdes la plupart du temps, s’étendaient de Saint-Pétersbourg jusqu’au Thibet et à la Chine, de Calcutta jusqu’à l’Hindou-Coutch et la mer Caspienne. Elles avaient pour but l’affaiblissement ou le maintien de la puissance anglaise dans ces contrées, pour principal ; théâtre ce plateau de l’Asie centrale of : vivent depuis des siècles, sans communication avec nous,