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peste, afin de la mieux étudier. » Oui, cela est vrai, la tragédie grecque a des beautés toujours enviables, oui, encore, ceux qui ont tenté de nos jours de créer un théâtre ont semé de graves et de nombreuses erreurs : c’est là ce qui est toujours le plus facile à démontrer ; mais, arrivé à ce point, l’auteur s’arrête. La conclusion du discours est donc moins satisfaisante que quelques parties pleines d’observations larges et vraies sur Eschyle, sur Shakspeare, et sur la noble fraternité de ces génies immortels.

C’est par une œuvre récente, par Arnaldo da Brescia, que Niccolini a semblé triompher de ses hésitations, et s’est pleinement jeté dans la voie nouvelle ; il a fait taire les scrupules d’un goût trop prompt à s’alarmer, et ici comme en toutes ses tentatives les plus marquantes, on pourrait le dire, c’est le sentiment patriotique qui a servi de lumière à son intelligence. Son regard s’est étendu vers un horizon plus vaste ; son inspiration embrasse tout un âge historique, toute une période de formidables combats où l’Italie aime encore à se contempler telle qu’elle fut, pleine de vie et d’ardeur. Le sens politique d'Arnaldo da Brescia a été indiqué ici même[1] : c’est une puissante invective contre l’adultère de l’empire et de l’église au moyen-âge, adultère consommé dans un but d’oppression. C’est une vigoureuse satire, quoique indirecte, des nouveaux guelfes et des nouveaux gibelins qui prétendraient ressusciter ces anciennes doctrines et se fieraient encore soit au pouvoir temporel de Rome, soit à l’influence de cette ombre d’empire qui plane encore sur la péninsule et l’enveloppe. Vue dans le vague lointain du XIIe siècle, la figure d’Arnaldo n’est pas sans grandeur ; c’est un digne sujet pour la poésie. Arnaldo n’est-il pas le type de ces réformateurs extrêmes et prématurés qui se sont succédé d’âge en âge au-delà des Alpes, de ces conspirateurs remplis des souvenirs de la vieille Rome, animés d’instincts généreux, mais imparfaits, citoyens d’une république chrétienne idéale, qui voulaient remettre un peu du sang de Caton et de Brutus dans les veines de l’Italie, déjà atteinte par la corruption, et s’en allaient un jour s’éveiller de leur songe au pied d’un gibet ou dans les flammes d’un bûcher ? Vainement les cendres d’Arnaldo furent jetées dans le Tibre, comme pour purger l’Italie de son passage ; cela n’a pas empêché que, trois siècles après, Savonarola ne fût tourmenté des mêmes rêves et ne renouvelât

  1. Voyez l’article sur la Révolution en Italie, par M. Ferrari. — Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1845.