qu’à cette époque, qui enfanta des travers nouveaux, on ne trouve pas un écrivain italien qui ait laissé éclater un peu de cette généreuse colère par laquelle, comme on le voit dans Tacite et dans Juvénal, les lettres peuvent vivre encore dans les siècles corrompus. Dans les arts eux-mêmes il n’y eut plus de goût ; Michel-Ange resta sans ennemis, mais sans juges, roi encore, il est vrai, mais d’un peuple d’esclaves !… »
Ce serait une étude curieuse à faire que de rechercher à quel point le poète et le critique coexistent dans Niccolini, et se prêtent une aide mutuelle ; la grave émotion d’une raison élevée se mêle, en lui, à l’élan naturel de l’inspiration. Du poète, il a l’instinct divinateur, l’activité féconde, le mouvement, l’éclat, la sympathie pour tout ce qui est beau. Du critique, il a la fermeté de vues, la sagacité, la logique, et ces facultés diverses sont dominées par un mobile supérieur, par un invincible amour de la patrie. C’est cet amour qui éclaire l’esprit de l’auteur de Polyxène, et détermine sa foi aux idées progressives, parce que sans elles l’Italie resterait en arrière des peuples. Niccolini n’est point, il est vrai, un de ces audacieux novateurs qui ouvrent des routes inconnues jusqu’à eux, et s’y précipitent avec une ardeur spontanée et irréfléchie ; mais chaque pas qu’il fait est assuré : son génie peu hasardeux, grave, méditatif, le rend d’autant plus propre à féconder des principes qu’il n’a admis qu’avec maturité. Les germes déposés dans son esprit fructifient peu à peu. En vain les excès de l’école moderne le pourront effrayer par momens, et lui feront regretter les réserves de sa jeunesse, si fort éprise de l’antiquité ; en vain des tendances opposées se disputent son intelligence ; son talent se développe néanmoins dans le sens nouveau ; il va d'Antonio Foscarini à Jean de Procida, de Procida à Arnaldo da Brescia. Ce sont les trois œuvres glorieuses de sa vie littéraire.
Foscarini marque la rentrée de Niccolini au théâtre, en 1827, après dix années de silence. L’issue de la lutte littéraire n’était plus douteuse déjà : Carmagnola et Adelghis avaient montré ce que peut un génie éminent dégagé des liens d’une discipline trop sévère ; mais il restait à tenter quelques-unes de ces réformes sur la scène même, il restait à concilier la liberté, la vérité désormais exigées dans une action tragique avec les pratiques théâtrales. Niccolini a-t-il rempli ces conditions ? Il a du moins essayé d’y parvenir, et ses efforts ne sont pas sans éclat. Foscarini n’est point certes un drame conçu sur le modèle de Cromwell. Il offre cependant des beautés vraiment neuves. La couleur moderne y est bien plus prononcée que dans les tragédies d’Alfieri. La régularité qu’on y remarque naît plus encore de