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parts arrivaient à Cirey les témoignages de l’admiration de la France et de l’Europe. Peu soucieuse pour elle-même de l’éclat de la gloire, Mme du Châtelet, cette muse discrète et fière de la science, reportait à son ami ces hommages du monde, sans lesquels elle sentait bien qu’il aurait eu la faiblesse de se trouver malheureux.

Le grand Frédéric, alors prince royal, était un des correspondans les plus assidus de Voltaire, et toutes ses lettres renfermaient de gracieuses paroles pour Mme du Châtelet : « Si j’approchais de la divine Émilie, écrivait-il un jour, je lui dirais comme l’ange de l’Annonciation : Vous êtes la bénie entre toutes les femmes, car vous possédez un des plus grands hommes du monde. Et j’oserais encore lui dire Marie a choisi le bon parti, elle a embrassé la philosophie. » Dans la vivacité de son enthousiasme pour Voltaire et pour son amie, enthousiasme que nous verrons bientôt s’affaiblir, Frédéric envoyait son portrait à Mme du Châtelet, des plumes et des écritoires d’ambre, petits souvenirs accompagnés de devises galantes faites par le prince-poète. En 1737, un ambassadeur vint de sa part à Cirey ; c’était le comte de Kaiserling, surnommé Césarion par Frédéric. Le château fut en fête durant huit jours ; on joua plusieurs pièces de Voltaire ; on fit une belle illumination dont les lumières dessinaient le chiffre et le nom du prince de Prusse, avec cette devise : l’espérance du genre humain. L’ambassadeur de Frédéric, qui arrivait du fond de la Poméranie, était surpris et charmé de ce luxe élégant, dont la cour de Berlin ne lui avait pas donné l’idée. Quand il partit de Cirey, Mme du Châtelet lui offrit des présens beaucoup plus royaux que ceux qu’il avait apportés de la part de son maître. Cirey traitait de puissance à puissance avec Potsdam.

Des amitiés tout aussi empressées, plus tendres et moins passagères que celle de Frédéric, les cherchaient encore dans leur solitude. Leurs deux anges, M. et Mme d’Argental, leur écrivaient presque tous les jours des nouvelles de Paris ; Helvétius communiquait ses premiers essais à Voltaire, et s’enquérait du jugement de Mme du Châtelet. Le marquis d’Argens, l’aimable épicurien provençal, dont Voltaire devait retrouver plus tard l’amitié à Berlin, leur adressait ses Lettres juives ; d’autres se rendaient en pèlerinage à Cirey. En 1738, Mme Denis, nièce de Voltaire, vint y passer quelques jours. Mme du Châtelet et Mme Denis ! le rapprochement de ces deux noms rappelle naturellement ce que furent ces deux femmes dans la vie de Voltaire. L’une avait été l’amie noble, tendre, dévouée, inspiratrice des grands travaux du poète, et lui avait offert la solitude de Cirey pour s’y recueillir ;