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le maréchal de Richelieu, alors jeune, charmant, dans la fleur de la galanterie ; elle mit tout son cœur dans cette liaison passagère, comme elle le mettait dans chaque sentiment qu’elle éprouvait ; elle souffrit beaucoup de la légèreté du brillant séducteur, et lui retira dignement son amour en le forçant à garder pour elle une amitié et une estime qu’il accordait rarement aux femmes dont il avait été aimé. Elle continua d’entretenir avec le maréchal un commerce de lettres, dont quelques-unes sont parvenues jusqu’à nous. Il est curieux d’y voir la transformation d’une tendresse orageuse en une sereine amitié. Quand le duc de Richelieu se maria à la princesse de Guise, Mme du Châtelet devint l’amie de sa jeune femme ; elle lui inspira le goût des sciences. Souvent, durant ses voyages à Paris, elle logeait à l’hôtel de Richelieu ; Voltaire était lié avec le maréchal, il avait même contribué à son mariage, et, grace à un philosophique oubli du passé, il se forma entre ces quatre personnes une amitié sincère et pleine d’agrémens.

« Qui l’aurait jamais cru, écrivait[1] Mme du Châtelet au maréchal après une maladie, qu’entre Mme de Richelieu, Voltaire et vous, l’amitié eût pu me faire regretter ? A peine l’espérais-je de l’amour. On n’est heureux que par ces deux sentimens. J’avoue qu’ils font le bonheur de ma vie et que je ne demanderais aux dieux (s’il y en a) que de passer ma vie dans cette partie carrée, où il serait également doux d’être le tiers et le quart. Je crois que je vaux réellement quelque chose depuis que je commence à croire que vous avez pour moi une amitié solide Vous connaissez mon cœur, et vous savez combien il est vraiment occupé (de Voltaire) ; je m’applaudis d’aimer en vous l’ami de mon amant.

« Ce sentiment ajouterait encore à la douceur que je trouve dans votre amitié, si je ne l’avais pas empoisonné ; je ne me pardonne point d’avoir eu pour vous des sentimens passagers, quelque légers qu’ils aient été ; assurément le caractère de mon amitié doit réparer cette faute, et si c’est à elle que je dois la vôtre, je dirai, malgré tous mes remords, ô felix culpa ! »

  1. Fragmens d’une lettre inédite de Mme du Châtelet au maréchal de Richelieu, faisant partie de la collection de M. Feuillet de Couches.