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et les exquis vivent à l’ombre de leurs draperies et sous le feuillage harmonieux de leurs bocages.

De fort bonne heure, Horace avait été trempé dans cette cuve qu’il avait trouvée indigne de sa grace et de son élégance raffinée. Il portait le nom de Robert Walpole, un des grands meneurs de cette époque. Tout retentissait de l’infamie de Robert, et Horace, son fils, s’étonna de reconnaître que ceux qui médisaient du ministre ne valaient guère mieux que lui ; alors il se mit à faire ses mémoires, dont le dernier volume vient de paraître, l’histoire secrète de son temps. Il faudrait bien se garder, en le lisant, de saisir au vol quelques rapprochemens factices, et d’instituer, comme on l’a voulu trop souvent, une comparaison soutenue et constante avec la France moderne ; les élémens de notre société et ceux de la société anglaise sont différens, ou plutôt contraires ; quiconque voudra placer l’une en regard de l’autre se trompera profondément. Nous n’avons pas de tories et nous n’avons pas de whigs ; nous ne sommes pas divisés en deux grands partis du pouvoir et de la liberté. L’aristocratie ne s’est point répartie à peu près également entre ces deux zones, dont l’une penche vers l’autorité, l’autre vers l’indépendance. Nos nuances sont bien autrement dangereuses, quoique plus fines et plus délicates ; nous avons l’avenir et le passé, voilà nos partis : le passé qui se maintient, l’avenir qui se fait jour, et le présent qui oscille entre les deux, c’est-à-dire que nous n’avons point de partis, à proprement parler.

C’était bien autre chose sous Guillaume, sous la reine Anne et sous les trois Georges. Il y avait un torysme et un whiggisme, tous deux fort prononcés. Bolingbroke réclamait la centralisation énergique du pouvoir ; Harley tendait vers le même but, un peu moins vivement que lui. Godolphin, au contraire, et Marlborough voulaient beaucoup moins d’autorité pour le trône et un accès facile donné aux puritains, aux calvinistes ambitieux et aux gens de talent. Les premiers, en définitive, n’étaient pas trop hostiles aux Stuarts ; les seconds ne juraient que par Guillaume et le nouvel établissement. Les premiers étaient assez indifférens en matière de dogme et auraient volontiers fait un peu de place aux catholiques ; les autres se renfermaient dans le protestantisme populaire et avaient ainsi prise sur les masses. On voit d’un coup d’œil pourquoi le parti whig a été sans cesse en grandissant et le parti tory en diminuant. Le premier portait en lui un fonds national qui le faisait fructifier et fleurir.

Les mémoires de Walpole, malgré leurs partialités, resteront le document