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les encouragemens que leur refusent nos institutions et nos hommes d’état. Aussi est-ce avec quelque surprise que nous avons entendu M. Berrens demander la création d’une école spéciale destinée à favoriser précisément les progrès de ces sciences privilégiées par leur nature même. Il est vrai qu’ancien élève de l’École Polytechnique, M. Berrens voulait que la nouvelle institution fût exclusivement réservée, aux jeunes gens sortis de ce célèbre établissement. Entraîné par l’esprit de corps, il regrettait de voir le nom de ses condisciples figurer trop rarement à son gré dans la table des comptes-rendus de l’Académie ; il aurait voulu leur assurer une plus large part de réputation. Ce projet ne pouvait déplaire aux académiciens jadis élèves, aujourd’hui professeurs dans cette école, et, tout en se reconnaissant incompétente sur le fond de la question, l’Académie témoigna, par la nomination d’une commission nombreuse, de l’intérêt qu’elle y attachait. Cependant le principe posé par M. Berrens nous semble devoir être écarté pour bien des motifs. L’esprit d’invention ne s’acquiert pas. Il y aura toujours une grande différence entre faire marcher une science par des travaux originaux, ou en apprendre ce qui est nécessaire à l’exercice d’une profession. En un mot, on peut former un ingénieur des plus distingués, un parfait officier d’artillerie : on ne pourra jamais créer un savant actif,

La mesure proposée par M. Berrens aurait d’ailleurs un grave inconvénient. Ces élèves d’une école de savans auraient bien vite conquis le monopole du petit nombre de positions sociales où conduit la science. Ajouté aux avantages dont jouit déjà l’École Polytechnique, celui-ci aurait de quoi décourager tout homme tenté de s’élever par la science.

Comparons, en effet, cet établissement avec les autres institutions destinées à former des jeunes gens pour les carrières spéciales. Pour entrer à l’École Normale, à l’École Navale, ou à l’École Militaire, les candidats subissent un premier concours d’admission aussi bien que pour l’École Polytechnique ; mais à l’expiration de ses études, l’élève de l’École Normale doit, pour conquérir son titre d’agrégé, lutter contre tout venant. Si sa position même lui assure un grand avantage, du moins il est permis à tout homme laborieux d’entrer en lice contre lui. Le jeune homme admis à l’École Polytechnique n’a devant les yeux que des condisciples, le concours est fermé aux étrangers. Il ne s’agit plus pour lui de dépasser les autres ; il lui suffit d’atteindre une limite fixée d’avance pour ne pas courir le risque d’être fruit’ sec et assurer sa carrière. Sous ce rapport, Saint-Cyr et Brest offrent les mêmes avantages ; mais l’un et l’autre n’ont qu’une porte. On en sort officier de ligne, d’état-major ou enseigne de vaisseau. L’élève de l’École Polytechnique peut choisir entre les constructions navales, les mines, les ponts-et-chaussées, l’artillerie, le génie, la fabrication des tabacs et l’administration des télégraphes. Dans toutes ces carrières, la plus forte part de l’avancement est pour lui ; dans quelques-unes, les places correspondant au grade d’officier lui sont exclusivement réservées. Quelque éminent que puisse être un conducteur