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n’admit jamais que ces violentes et brutales invasions fussent bonnes à quelque chose, même pour l’avenir éloigné d’une renaissance. Il considérait tout crument les barbares germains et en particulier les Franks (je demande pardon de l’image qui rend parfaitement ma pensée) comme une suite de durs cailloux à digérer : tant que ce travail de rude digestion ne fut pas terminé, ou du moins très avancé, il n’y eut pas, selon lui, dans la société autrefois gallo-romaine, de véritable réveil et de symptôme possible d’une civilisation recommençante.

Toute la partie relative à l’invasion des Franks me semble écrite avec une vigueur et une fermeté que ne conserve pas toujours la plume de l’historien ; le portrait de Clovis n’y est en rien flatté ni embelli : il suffit à M. Fauriel de quelques extraits, de quelques traductions littérales de Grégoire de Tours, pour faire ressortir cette naïveté de barbarie franke en tout ce qu’elle a de hideux, de féroce et d’imprévoyant jusque sous ses perfidies. Il excelle, en général, à profiter de Grégoire de Tours, comme précédemment il avait fait de Sidoine ; il cherche à rajuster, à rétablir la vérité historique à travers les lacunes, les crédulités ou les réticences partiales de l’un, comme il la dégageait de dessous la fausse rhétorique de l’autre. Grégoire de Tours et Sidoine, d’ailleurs, presque toutes les fois qu’il les cite et qu’il les discute, ont le privilège d’appeler sur ses lèvres un petit sourire, et une légère épigramme sous sa plume : ce sont les gaietés discrètes et sobres du grave historien. Le seul Dagobert, parmi ’les rois mérovingiens, lui paraît faire preuve de quelque instinct de civilisation et aspirer avec quelque suite à fonder l’unité ; mais la race mérovingienne est à bout et ne mérite plus l’avenir. C’est du côté des vaincus du midi, des Arvernes tant qu’ils ont résisté, puis des Vascons des montagnes, c’est pour le parti de ces Gallo-Romains et Aquitains toujours broyés et toujours insoumis, toujours prêts à se relever sous leurs conquérans comme les Grecs sous les Turcs, que la faveur de l’historien se replie incessamment et se déclare. Il est ingénieux à les faire valoir, à les venger des injustices des chroniqueurs grossiers, à donner un sens national à ce qui semblerait de vaines mobilités d’humeur ou des révoltes purement personnelles ; le chapitre qui traite de la révolte de Gondovald, par exemple, et qui offre presque l’intérêt d’un roman, tire du point de vue de l’historien un sens sérieux et nouveau, qu’on peut du moins entrevoir. Ces efforts si souvent avortés de l’Aquitaine, ce que les adversaires appelaient les inconstances d’une race volage, mais, à les mieux juger, ces opiniâtres et généreuses