Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/946

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Virgile. C’étaient là des joies pures, et la poésie ne pouvait être loin.

On a dit et il est à croire que ce fut en effet pendant un séjour à Paris, vers les premiers mois de 1810, qu’arrivèrent à Manzoni les premières idées et les lumières déterminantes dans lesquelles il lui sembla voir une indication divine ; son changement de direction religieuse data de ce moment. Toute recherche à ce sujet serait indiscrète. On peut conjecturer seulement qu’il y eut là pour l’amitié une épreuve assez délicate à traverser. Fauriel était le plus équitable, le plus tolérant, le moins décisif assurément des penseurs ; mais il demeurait dans ses propres voies ; il était occupé, hier encore, à étudier la sagesse humaine dans la personne de ses plus orgueilleux représentans. Manzoni pouvait craindre pour cette science de son cher historien du stoïcisme qu’elle ne fût un obstacle à ce qui est surtout révélé aux petits et aux simples. Que se passa-t-il là, à un certain moment, entre ces deux cœurs, entre le philosophe toujours modeste et le croyant d’autant plus aimant ? Si ce dernier s’essaya jamais à toucher au sein de l’autre un coin de cette chose, à ses yeux la plus importante, ce dut être avec une discrétion bien tendre. Nul auprès d’eux n’en a su le mystère. En résultat, leur intimité n’en ressentit aucune diminution, aucun refroidissement.

Les évènemens de 1813-1814 apportèrent forcément une grande interruption dans le commerce des deux amis. C’est vers cet intervalle que Manzoni publia ou composa les Hymnes sacrés dans lesquels il tâchait, disait-il, de ramener à la religion ces sentimens nobles, grands et humains, qui découlent naturellement d’elle[1]. Cette époque fut celle de sa transformation entière, même en poésie ; l’étude et le temps firent éclore et développèrent au sein de son talent les germes lentement préparés ; sans doute, le souvenir médité des anciens entretiens avec son ami y contribua beaucoup. Au printemps de 1816, nous trouvons Manzoni s’occupant avec ardeur d’écrire sa tragédie de Carmagnola, et le lien littéraire qui le rattache à Fauriel se

  1. Les quatre ou cinq hymnes qui sont publiés n’étaient, dans la pensée du poète, qu’un commencement ; son projet était d’en faire une douzaine, en célébrant les solennités principales de l’année. Ces hymnes, par leur succès populaire, donnèrent un heureux démenti aux méfiances qu’exprimait Manzoni sur le rôle possible de la poésie italienne. Mustoxidi écrivait de Venise à Fauriel, en février 1824 : « Mille tenere cose al nostro Alessandro : egli avrà veduto l’ edizione de’ suoi inni fatta in Udine, ed io mi rallegro nell’ udirli ripetere dai giovanetti con vivo entusiasmo. »