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une de ces discussions ingénieuses et précises telles qu’il les aimait il lui conseilla de se perfectionner de plus en plus dans l’usage des vers sciolti, et lui indiqua à cet égard les modèles qu’il préférait. Tous deux déjà s’accordaient sur certaines remarques très fines : se retrancher les rimes quand on fait des vers italiens, ce n’était pas tant (selon eux) supprimer une difficulté qu’un secours bien souvent et une excuse. En effet, les premières pensées étant une fois trouvées, la nécessité de la rime, quand on se l’impose, suggère une quantité d’autres pensées de détail et surtout une foule de ces menues images qui sont réputées les élégances d’une composition, et qui achèvent même la pensée principale quand elles n’en détournent pas. Dans les sciolti, au contraire, le poète, n’étant plus provoqué par la rime, doit tirer tout de son fonds et défrayer en quelque sorte son vers avec ses seules ressources ; il peut viser plus librement au simple et au principal, mais à condition d’avoir en lui la force qui approprie le style et le ton aux choses, la fertilité des images et le mouvement des pensées, en un mot les qualités les plus réelles du talent. Parini, dans ses sciolti, a prouvé qu’il les possédait toutes ; il arrive à la combinaison du poétique et du vrai, à la perfection de l’œuvre, et, pour le peindre avec ses propres couleurs, on dirait que, ses vers découlant d’une noble veine, une muse savante les ait fait passer à l’ardent foyer de l’art :

… Da nobil vena
Scendano ; e all’ acre foco
Dell’ arte imponga la sottil Camena.


Manzoni, dont c’étaient là les premiers discours avec Fauriel, dirigea de bonne heure son style de ce côté, selon cette vue élevée et sévère. Le divin Parini, comme il l’appelait quelquefois, fut son premier maître ; mais, en avançant, son vers tendit de plus en plus à se dégager de toute imitation prochaine, à se retremper directement dans la vérité et la nature.

Combien de fois, vers cet été de 1806 ou de quelques-unes des années qui suivirent, soit dans le jardin de la Maisonnette, soit au dehors, le long du coteau de Saint-Avoie, au bord de cette crête d’où l’on voit si bien le cours de la Seine, avec son île couverte de saules et de peupliers, et d’où l’œil embrasse avec bonheur cette fraîche et tranquille vallée, les deux amis allaient discourant entre eux du but suprême de toute poésie, des fausses images qu’il importait avant tout de dépouiller, et du bel art simple qu’il s’agissait de faire revivre ! Non, Descartes ne prescrivit jamais plus instamment à son philosophe de