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d’état. Rien de plus amusant et de plus singulier que le portrait de cet homme d’état tracé par le fils de son ennemi. Horace non-seulement ne lui rend pas justice, mais le dépouille de tout mérite, même de l’éloquence, et abaisse autant qu’il le peut, en face de Robert, homme de la paix et des finances rétablies, Chatham l’homme de la guerre et de la gloire. Les circonstances avaient changé. Arrivé au pouvoir après Walpole, Chatham, homme d’état supérieur, mais bien plus rusé qu’on ne l’a dit, exploita l’orgueil britannique, que Walpole avait blessé en servant l’intérêt national. Aux yeux d’Horace, le grand Chatham n’est qu’un acteur habile, « maître dans tous les arts de la dissimulation, esclave de ses passions, et simulant même l’extravagance pour réussir. » Que Chatham ait joué la comédie, comme Napoléon, comme Louis XIV, comme Richelieu, comme Franklin, je n’en doute pas le moins du monde : monarchiques ou républicaines, les masses n’adoptent que ceux qui les dupent ; mais croire aveuglément aux imputations de Walpole contre Chatham, nous nous en garderions bien : il avait trop d’intérêt à la calomnie. Nous ne pouvons nous fier à lui ni quant aux vertus paternelles ni quant aux crimes imputés à l’adversaire politique de Robert.

George III, qui monta sur le trône en 1760, fut frappé, dès l’année 1765, d’une première atteinte de fièvre cérébrale, soigneusement dissimulée, et qui, après avoir reparu à diverses époques, devint en 1788 une aliénation constatée, et en 1810 éteignit complètement sa raison. C’était un roi honnête et borné, frugal et simple, à qui la situation particulière de sa santé laissa peu de liberté d’action. Aussi les intrigues ministérielles et les mouvemens secrets des communes redoublèrent-ils d’activité sous cette royauté nominale. Horace n’a pas perdu la trace d’une seule de ces agitations. Ses mémoires et ses lettres contiennent, sous une forme plus épigrammatique et plus minutieuse encore que pour les règnes de George Ier et de George II l’explication définitive de celui de George III.

Le dernier de ces trois monarques, sans élégance et sans grandeur, intéresse peu l’esprit ; il y a de la probité dans son entêtement, de l’économie dans sa taquinerie, de la fermeté dans ses vues étroites. Ce règne renferme toutefois les conquêtes de Clive, les provinces canadiennes arrachées à la France, l’Amérique septentrionale détachée de l’Angleterre, les fougues du terrible Junius et les ébats du Thersite Wilkes, sans compter les essais de la machine à vapeur et du mull-jenny, ce qui est plus notable encore. Horace Walpole nous fait assister à tout cela ; il met en relief les petits détails des personnages ;