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prospérité et à la sécurité commune des deux pays dès le lendemain, Bandas présenta un projet d’adresse conforme à la pensée du message. Sheridan, à qui sa qualité d’Irlandais ne permettait pas de garder le silence sur une pareille matière, se déclara énergiquement l’adversaire d’une proposition qui, dans son opinion, devait détruire l’indépendance de l’Irlande sans guérir des maux produits par l’ignorance et la détresse d’un peuple écrasé sous les exactions des propriétaires, il contesta d’ailleurs aux deux parlemens le droit d’anéantir des nationalités distinctes dont ils tiraient eux-mêmes leur existence et leurs pouvoirs. Canning, Irlandais aussi, mais l’un des plus zélés adhérens de la politique du cabinet, défendit, au contraire, la proposition. Pitt prit ensuite la parole. Après avoir fait remarquer qu’il n’était pas temps encore d’entrer dans les détails, puisqu’il ne s’agissait en ce moment que de prendre en considération l’idée indiquée dans le message royal, il démontra que la doctrine professée par Sheridan sur l’incompétence des deux parlemens se rattachait par des liens étroits au principe anti-social du suffrage universel, et tendait, dans ses effets rétroactifs, à frapper de nullité l’union de l’Angleterre et de l’Écosse, par conséquent l’autorité même du parlement britannique, résultat de cette union ; il expliqua que la mesure proposée, en substituant à l’action d’une législature distincte, esclave des passions locales, un parlement placé assez haut et assez loin pour être impartial, pourrait mettre un terme à ces luttes de partis et de religions qui retardaient la marche de la civilisation dans la malheureuse Irlande et y entretenaient, au milieu de tant d’excès, une effroyable misère ; il prouva surtout avec une incontestable évidence que c’était la seule combinaison par laquelle on pût prévenir les dangers dont l’antagonisme possible des deux parlemens menaçait l’empire ; il déclara enfin qu’aucun obstacle, aucune crainte ne l’empêcherait de faire tous ses efforts pour accomplir cette grande entreprise, à laquelle se liaient, dans sa conviction intime, la tranquillité de l’Irlande, les plus grands intérêts de la monarchie et le bonheur d’une partie considérable du monde.

L’adresse passa sans division, mais le même jour un vote bien différent eut lieu dans la chambre des communes irlandaises. Le vice-roi, en ouvrant la session, avait fait allusion au projet d’union. Le parti du gouvernement voulut insérer dans l’adresse une phrase conçue dans le même sens. Malgré tous les efforts de lord Castlereagh, secrétaire du gouvernement d’Irlande, cette phrase fut retranchée du projet par une majorité de 5 voix, et il s’en fallut d’une voix seulement qu’on