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singulière acheva de le pousser dans cette voie. Son esprit bizarre et enthousiaste s’était pris d’une sorte de passion pour l’ordre de Malte, dont il ne tarda pas à se déclarer le protecteur et le grand-maître. Il considéra pour ainsi dire comme une agression dirigée contre lui l’acte par lequel Bonaparte avait occupé le territoire et détruit l’existence politique de l’ordre. D’accord avec l’Angleterre et bientôt avec l’Autriche, qui cependant dissimulait encore et peut-être même n’était pas complètement décidée à la guerre, Paul travaillait activement à former une nouvelle coalition. On n’eut pas de peine à y faire entrer la Porte Ottomane, que l’invasion inattendue de l’Égypte avait irritée au plus haut point. Le sultan déclara la guerre à la France. L’antique alliance qui remontait à François Ier et à Soliman fut rompue pour la première fois, et par un renversement non moins inoui des lois ordinaires de la politique, on vit une flotte de guerre russe reçue comme auxiliaire dans le Bosphore. Les coalisés furent moins heureux dans leurs efforts pour obtenir la coopération de la Prusse. Frédéric-Guillaume resta également sourd à leurs pressantes instances et à celles de l’ambassadeur du directoire, le célèbre Sieyès, qui mit tout en œuvre pour l’entraîner dans l’alliance française. Mais à l’autre extrémité de l’Europe, une cour qui cependant avait de bien autres motifs d’agir avec prudence fut moins circonspecte. Le cabinet napolitain, dominé par une reine ambitieuse et violente, ne pouvant obtenir du directoire les agrandissemens qu’il avait rêvés et qu’on lui avait laissé espérer un moment, entra avec emportement dans les projets des ennemis de la France. Presque toute la population fut appelée aux armes. Nelson, revenant d’Aboukir, fut reçu triomphalement dans le port de Naples, comme si déjà ce pays eût été l’allié de l’Angleterre. Les derniers mois de cette année virent conclure les nombreux traités, les uns publics, les autres secrets, qui serrèrent les liens et réglèrent les moyens d’exécution de cette confédération redoutable. Déjà, en vertu d’un de ces traités, soixante mille Russes s’étaient mis en marche pour aller se joindre, sur le Danube, aux forces autrichiennes. Tout se préparait pour de prochaines hostilités.

Le directoire, ne pouvant se dissimuler l’orage qui s’amoncelait contre lui, songea aussi à se mettre en défense. Il demanda aux conseils législatifs deux cent mille soldats et d’énormes subsides, qui lui furent immédiatement accordés. Le ton du message adressé aux deux conseils était fier, hautain, menaçant. Cependant le directoire désirait éviter une rupture qui allait remettre en question, dans des circonstances peu favorables pour lui à beaucoup d’égards, les avantages