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L’Angleterre allait donc se trouver tout-à-fait isolée. En ce moment la révolte de la flotte n’était pas encore complètement apaisée, et si l’escadre espagnole avait déjà été battue par Jervis, Duncan n’avait pas encore remporté sur les Hollandais la victoire qui déconcerta plus tard les projets d’invasion du gouvernement français. Les périls étaient grands. La prolongation de la guerre n’avait d’ailleurs plus d’objet pour le cabinet de Londres. Pitt pensa que, dans de telles conjonctures, il fallait traiter de nouveau avec la France pour essayer d’arriver à une pacification générale. Ce ne fut pas sans difficulté qu’il fit prévaloir son avis dans le conseil. Non-seulement Windham et les autres amis de Burke continuaient à se montrer contraires à toute tentative semblable, mais le secrétaire d’état des affaires étrangères lui-même, lord Grenville, autant par orgueil que par patriotisme, manifestait une répugnance presque invincible à devenir l’instrument d’une négociation engagée sous des auspices si défavorables. Il objectait que le directoire français ne voulait pas la paix, qu’en lui faisant des avances, on le rendrait plus exigeant, plus insolent encore, et qu’on diminuerait la force morale de l’Angleterre. Pitt n’avait certes pas moins de patriotisme que son inflexible collègue, il n’éprouvait pas à un moindre degré le sentiment de la dignité du gouvernement qu’il représentait ; mais son esprit, plus calme, tenait plus de compte des considérations de la prudence. Par cela même que sa responsabilité était plus grande, et que la nature de ses fonctions l’appelait à étudier de plus près l’esprit et les ressources du pays, il était plus frappé du danger de continuer la lutte dans l’état d’épuisement moral et matériel auquel l’Angleterre paraissait réduite ; il croyait que, pour obtenir la paix, il fallait faire tous les sacrifices compatibles avec l’honneur, que le succès d’une négociation n’était pas impossible, et que, d’ailleurs, si le directoire refusait des propositions évidemment raisonnables, ce refus, loin d’affaiblir le gouvernement anglais, ranimerait en sa faveur l’opinion publique en imposant silence à ceux qui l’accusaient de prolonger volontairement la guerre.

Lord Grenville, entraîné plutôt que convaincu, écrivit au ministre des affaires étrangères du directoire pour lui proposer de rouvrir les conférences rompues l’année d’auparavant. Le gouvernement français n’était pas moins divisé d’opinions que le ministère britannique. La majorité du directoire, dans son ambition révolutionnaire, ne voulait pas la paix avec la Grande-Bretagne. Cédant cependant à l’influence plus modérée de deux de, ses membres et de la majorité des conseils législatifs, le directoire accueillit la proposition du cabinet